Connectez-vous avec le Vase

Le Vase des Arts

Le théâtre des grands ensembles

Publié

le

L'art du théâtre d'idées

Comme s’ils se trouvaient au café, ou chez l’un ou l’autre, deux hommes et une femme discutent, s’écoutent, s’interrompent, s’impatientent, s’entendent, se font pédagogues, historiens, sociologues, théoriciens, militants, rêveurs.

Le sujet ? Les « grands ensembles » qui sont construits à la périphérie des villes depuis cinquante ans, et qu’on appelle aussi cités, banlieues, quartiers (en ajoutant parfois « sensibles »).

David Farjon, Sylvain Fontimpe et Paule Schwoerer bâtissent.

Pour illustrer leurs propos, ils placent des livres sur une table pour recréer un de ces ensembles sur une table et illustrer les objectifs des architectes qui les ont conçus. L’un des hommes aborde surtout des idéaux qui ont inspiré les premiers projets, et qui ne se sont que rarement réalisés. L’autre regrette la mauvaise image qui s’accroche à ces quartiers, aux noms devenus infâmants, et les difficultés de ceux qui y vivent, par exemple quand ils cherchent un emploi et doivent préciser leur adresse. La femme se préoccupe des situations individuelles, cherche l’empathie pour les habitants.

Aucun n’y habite.

Ceux qui les entendent parler pourraient être d’autres clients attablés à côté au café, ou sur un banc de jardin public.

Mais ce n’est pas le cas. Nous sommes des spectateurs dans la petite salle du théâtre du Mail, et nous regardons jouer Ce que je reproche le plus résolument à l’architecture française, c’est son manque de tendresse (citation de l’architecte Emile Aillaud). Les trois argumenteurs sont des acteurs : David Farjon, Paule Schwoerer et Sylvain Fontimpe.

Le texte a été écrit collectivement sous la direction de David Farjon, fondateur en 2011 de la compagnie Légendes Urbaines, avec l’intention de « proposer un théâtre résolument ancré dans l’environnement urbain ».

Nous n’entendons donc pas une conversation de café ou ailleurs. Nous regardons un spectacle, joué avec un naturalisme parfaitement maîtrisé par des professionnels du théâtre, qui savent aussi changer de rôle, devenir d’autres personnages. La différence ? Les mots et gestes font d’un débat d’idées une histoire, et c’est en la racontant que les acteurs nous interpellent. Ils jouent, et les spectateurs suivent ce qui se passe entre eux. La femme propose de partir tous les trois visiter une cité à la réputation inquiétante. Les hommes refusent. Elle part seule. Ils la suivent, la retrouvent. « On n’allait pas te laisser toute seule, tout de même ! » Il ne s’agit plus de sociologie cérébrale, mais d’amitié, de responsabilité.

Le spectacle se déroule, puis est soudain interrompu. Un spectateur, jeune homme affirmé, intervient, se lève, prend possession du plateau. Il est rejoint par cinq autres. Ils abordent un cas local, Chevreux, quartier de Soissons à la réputation plus que sensible, et en « réhabilitation » depuis quelque temps. Benjamin, Denis, Marie-Jo, Elisabeth, Adrien et Tiffany y habitent et fréquentent le Centre social, où ils ont été recrutés pour participer au spectacle. Quatre séances ont été tenues pour recueillir, mettre sur papier et répéter leurs témoignages. Sur scène plusieurs tiennent un script, mais tous sont éloquents, détendus, clairement mis en confiance par les professionnels.

Ils sont loin d’approuver platement les changements lesquels, selon eux, auraient cassé l’ambiance et la solidarité de la communauté des habitants. Un exemple : la démolition des ponts entre les blocs, pour étouffer des comportements antisociaux, font qu’une dame âgée est obligée de descendre trois étages puis remonter trois autres pour rendre visite à une voisine.

Il est dit que la représentante de l’office public du logement, invitée à une représentation, n’aurait pas apprécié de ces réactions à ce qui était présenté comme un progrès.

Contacté le lendemain, Sylvain Fontimpe explique qu’un groupe d’habitants de la ville où la pièce a été créée en 2016 avait été sollicité pour intervenir. « Depuis, nous organisons parfois ces interventions et, quand ce n’est pas possible, nous jouons la première version nous-mêmes. »

Selon la citation de l’architecte Emile Aillaud qui sert de titre, la tendresse manquerait à l’architecture française. Le débat reste ouvert. Le spectacle du Mail, et surtout le recours au contexte local, montrent que le sujet peut au moins être abordé avec tendresse.

[Modifié le 26/06/21 pour préciser la source de la réaction négative aux propos tenus au sujet de Chevreux pendant le spectacle.]

Continuer la lecture
P U B L I C I T É

Inscription newsletter

Catégories

Facebook

LE VASE sur votre mobile ?

Installer
×