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Exposition

Les victimes de la paix

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L'art de l'engagement portraitiste

Maureen Reid James Reid (44), mari de Maureen Reid et père de leurs dix enfants, a été tué le 17 janvier 1976, lorsqu’une bombe a été jetée dans le Sheridan Bar du quartier de New Lodge de Belfast. Maureen ne s’est jamais remariée, et a élevé sa famille en vivant de sa pension de veuve. Pendant toutes ces années, Maureen parlait de James en l’appelant « Daddy ». Elle s’est éteinte le 25 mars 2015 entourée de sa famille.

Maureen Reid
James Reid (44), mari de Maureen Reid et père de leurs dix enfants, a été tué le 17 janvier 1976, lorsqu’une bombe a été jetée dans le Sheridan Bar du quartier de New Lodge de Belfast. Maureen ne s’est jamais remariée, et a élevé sa famille en vivant de sa pension de veuve. Pendant toutes ces années, Maureen parlait de James en l’appelant « Daddy ». Elle s’est éteinte le 25 mars 2015 entourée de sa famille.

Une exposition au Centre culturel irlandais de Paris a pris une résonance inattendue avec les attentats de novembre. « Silent testimony » du peintre irlandais du nord Colin Davidson montre le sort de victimes des sanglants « troubles » qui ont duré trente ans en Irlande du nord. Celles-ci ont survécu, mais handicapées, ou ayant perdu des proches, parents, enfants, amis.

Dans la pénombre de la salle d’exposition du Centre, dix-huit grands portraits de tête sont éclairés chacun par un projecteur. Ils sont de face, mais le regard est toujours détourné, comme par discrétion, pour ne pas insister. Les visages sont très différents, hommes, femmes d’âges divers. A peine peut-on décerner une expression commune à plusieurs, les lèvres légèrement serrées comme pour taire une peine terrible.

Le 10 avril 1998, un accord a été signé par les partis au conflit en Irlande du nord. Il comprenait la libération anticipée de beaucoup de détenus. Une nouvelle ère devait s’ouvrir.

Cette paix relative a fait l’impasse sur le sort de ceux qui avaient perdu les leurs dans un attentat, ou y avaient eux-mêmes été blessés. Leur demande de justice détonnait dans la nouvelle ambiance. Ils n’avaient qu’à se réjouir du nouvel équilibre, entendait-on. Ils dérangent. Leurs blessures physiques et morales sont un rappel gênant de l’injustice de bien des aspects de l’accord promulgué. Le passé des autres reste leur présent. Et le passé s’éloigne, les laissant dans leur souffrance inaboutie.

Colin Davidson, qui habite un village près de Belfast, était connu pour ses portraits de gens célèbres, dont Brad Pitt ou Angela Merkel. Pour la première fois, il s’est engagé, en s’exprimant sur ces suites des tourments de son pays.

Il a trouvé des victimes prêtes à porter un témoignage silencieux, d’où le titre de l’exposition. L’histoire de chaque sujet est résumée sur un écriteau, sans préciser à quel coté du conflit appartenaient les responsables. Cette exposition, qui a attiré près de 60 000 visiteurs à Belfast juste avant de venir à Paris, insiste sur « l’humanité commune » de ces témoins, non pas leur appartenance communautaire.

Johnnie Proctor, dont le père a été tué le lendemain de sa naissance.

Johnnie Proctor, dont le père a été tué le lendemain de sa naissance.

J’ai pu demander à Colin Davidson ce que signifie pour lui cette exposition à Paris.

« C’est un privilège et un honneur d’avoir été invité à présenter « Silent testimony » à Paris. Les histoires des dix-huit personnes qui ont posé pour moi sont universelles et, à mon avis, représentent les séquelles de tout conflit. Une fois que les armes se taisent et la société est incitée à aller de l’avant, même à oublier, cette énorme fraction de notre communauté ne peut pas suivre. En quelque sorte ils paient le prix de la paix des autres.

Les tableaux éveillent des réactions individuelles chez ceux qui les voient et, même si je suis conscient des résonances qui peuvent se faire entendre à Paris, en vue des récents attentats, je n’attends pas, ni voudrais privilégier telle réaction individuelle. Je forme le souhait que les gens, en voyant ces œuvres, se réfèrent à leurs propres expériences, quelles qu’elles soient, et soient amenés ainsi à réfléchir à la perte humaine qui résulte des conflits. »

Centre culturel irlandais, 5 rue des Irlandais, 75005 Paris. Tél. 01 58 52 10 30

denis.mahaffey@levase.fr

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Exposition

Purevbaatar Tumurchudur, peintre et musicien mongol : première exposition en France

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L'art de la peinture et de la flûte

Une amulette de protection

Le café associatif Au Bon Coin fait connaître de nombreux peintres, sculpteurs, graveurs, photographes, en leur ouvrant sa petite galerie, de la taille d’une chambre à coucher, Il a réussi un coup en y hébergeant la première exposition en France de l’artiste et musicien mongol Purevbaatar Tumurchudur (« Puugii » pour son entourage).

Le cerf rouge

La Mongolie appartient a ces quelques pays qui mettent le feu à l’imagination par leur taille (1 500 000 kilomètres carrés pour les trois millions de Mongols), leur histoire tumultueuse (le Mongol Genghis Khan a créé le plus grand empire contigu qui a jamais existé – mais qui s’est presque aussitôt évanoui), et surtout parce que peu de gens savent, sans aller chercher un atlas, où ils se trouvent (la Mongolie est entre la Russie au Nord et la Chine au Sud).

Puugii est né en 1976 à Oulan Bator, capitale de la Mongolie. Lourdement handicapé de naissance, à cause d’un médicament prescrit à sa mère, il aurait pu rester à l’écart de la vie active. Mais il avait une telle force de caractère qu’il a fait la grève de la faim pour aller à l’école « Mon père m’y portait sur le dos, et mes camarades de classe me montaient jusqu’au 4e étage. »

Après avoir gagné un prix à quinze ans dans un concours national de dessin, il a participé à de nombreuses expositions, puis étudié aux Beaux-Arts. Sa première exposition individuelle a eu lieu en 2013 dans une galerie de la capitale.

Puugii est arrivé en France en 2017 avec sa femme « Muugii » (« Papa » et « Maman » en langue mongole) et leurs quatre enfants. Ils vivent à Compiègne. Ayant obtenu ses « papiers », comme on dit, il s’est trouvé dans l’obligation administrative d’apprendre le français. Il est entré ainsi en relation avec l’association Solidarité et Jalons pour le Travail, dont la professeure de français, Annie Molina, venue au vernissage de son exposition pour l’accompagner et raconter son histoire. L’association humanitaire soissonnaise Yo Contigo l’a connu à travers son atelier hebdomadaire à Compiègne. Anne Miranda, à la fois présidente du Bon Coin et bénévole à Yo Contigo, lui a proposé une exposition à Soissons.

Malgré les obstacles que la vie a posés sur son chemin – ou peut-être à force de les franchir – Puugii est un homme affable, souriant, avec un regard espiègle. Il parle français, certes avec quelques trous (qu’Annie Molina est toujours prête à combler à sa place).

Avant de montrer ses toiles, Puugii a donné la preuve d’un autre talent, en jouant une flute mongole. L’instrument a été adapté pour lui permettre d’accéder aux deux dernières notes du bas avec le moignon de son bras droit. Cette musique donne déjà un avant-goût du pays, loin par la distance, mais dont la musique est presque familière, dont un air qu’il a composé en hommage à sa femme.

Pour voir la vidéo, cliquer sur le lien.

La galerie offre un concentré de l’art de Puugii, qui reproduit non pas les paysages de steppes et montagnes, mais les contes, les images icônes, un monde qui est vaste aussi, à l’échelle du pays. Comment trouve-t-il ses sujets ? « Je forme des projets dans ma tête et puis je peins. » Les images traduisent un monde inconnu à l’Occident, mais possèdent l’universalité des légendes et mythes, un langage accessible à tout spectateur prêt à laisser éveiller son l’imagination.


Exposition ouverte jusqu’au 3 juin, les mardi, mercredi et jeudi de 10h à 14h, et le samedi de 9h30 à 12h.

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Exposition

André Kertész : la vérité graphique du monde

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L'art de la photo

Au milieu du grand hall d’entrée du lycée Léonard-de-Vinci de Soissons il y a un bassin circulaire carrelé, de la taille d’une généreuse piscine de jardin, mais en plus profonde. Il ressemble à une petite piscine, mais sans eau. Il y a des marches pour descendre à l’intérieur, et le fond est entouré d’un rebord comme un banc pour s’asseoir, lui donnant un air de mini-amphithéâtre.

Treize grands panneaux contenant des photos prises par André Kertész, le photographe franco-hongrois, sont accrochées en haut, autour du bassin, sur les deux tiers de sa circonférence.

La galerie d’art du lycée étant temporairement indisponible, Hortense Garapon, professeur et responsable des expositions, a pu utiliser cet autre endroit pour accrocher les images du photographe. Comme le souligne le proviseur Dominique Haraut, un lycée général, technologique et professionnel s’occuper aussi de sensibiliser ses élèves aux arts, d’où le riche programme d’expositions qui s’y succèdent. Les classes les visitent en compagnie d’enseignants aptes à enrichir leur perception de ce qu’ils voient.

En photographiant, Kertész n’a pas les mêmes objectifs que ses trois grands contemporains, Doisneau, Willy Ronis ou Cartier-Bresson. Eux excellent à saisir un regard, un geste, un mouvement qui révèlent la nature humaine de ses sujets, souvent jeunes, souvent dans la rue. Les images de Kertész sont fréquemment vides, ou bien les êtres humains sont photographiés sous un angle qui les cache, ou en silhouette, ou dominés par leur propre ombre.

Son propos n’est pas de créer une émotion par une vision de l’humanité. D’ailleurs, il y renonce clairement : « Ce n’est pas le sujet qui fait une photographie, mais le point de vue du photographe. »

Ce qu’il explore et découvre et illustre est la nature graphique de ce qui est photographié. Que ce soit une foule en file indienne autour d’une église, ou son autoportrait, dans lequel il est derrière un verre cathédrale qui l’obscurcit, ou, dans sa série Distorsions, un corps de femme nue déformée par un effet optique, Kertesz dégage, dans chacune de ses images, les schémas graphiques, lignes, objets, ombres, par lesquels le monde se dessine – « la mécanique du monde ».

Kertesz choisit souvent une vue en plongée, ce qui l’éloigne suffisamment de ce qu’il photographie pour révéler les formes qui nous entourent et dans/par lesquelles nous vivons. De trois enfants côte à côte on ne voit que les têtes d’en haut, le détail des corps n’apparaissant que dans les ombres projetées par terre. Le point de vue éloigne les enfants vivants pour révéler la disposition des formes qu’ils créent.

Un homme se cabre, son corps, noir dans la lumière du fond, devenant un élément presque imaginaire. L’œil du visiteur remarque, non pas la nature de l’homme, mais le fait que la végétation, dressée derrière son dos, paraît se plier devant son approche. La nature devient graphique.

Une autre photo montre l’entrée de la maison du peintre Mondrian. Un regard rapide ferait penser à un tableau de Bonnard, auquel il ne manquerait que la couleur, la femme et peut-être la baignoire. En l’absence de ces éléments l’œil se met à percevoir les formes que montre l’image, le cadre de la porte laissant voir le palier éclairé, l’escalier qui monte, la rampe. Il y a aussi la courbe qui fait, non pas voir mais deviner l’escalier qui continue de descendre. L’avant-plan est plus sombre, jusqu’à cacher le détail de certains éléments, mais, au milieu, une plante est éclairée par la lumière entrant par la porte et créant, en contrepartie, l’ombre portée par la plante et son pot sur la table.

L’image montre, non pas les personnes qui monteraient et descendraient les marches, qui passeraient par la porte, qui regarderaient la plante, mais l’assemblage graphique de ce qui entoure leur vie. C’est, comme il l’a dit, non pas le sujet de la photo qui compte, qui innove, mais le point de vue choisi par celui qui photographie.


L’exposition Kertész, organisée en commun avec Diaphane, pôle photographique de la région des Hauts-de-France, avec des photographies venues de la Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie, est ouverte jusqu’au 13 mars.

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Exposition

L’exposition lumineuse et sombre de Françoise Federigo

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L'art de la peinture malgré tout

 

La galerie d’art du lycée Léonard de Vinci est devenue lumineuse, alors que l’éclairage reste discret et que le soleil n’y pénètre pas. La source de lumière ? Ce sont les toiles de Françoise Federigo, par leurs couleurs claires et chaudes, et la vie qui y vibre : deux enfants aux pieds de leurs parents dans un bois ; un couple, elle en robe fleurie, lui assis sur un rebord de fenêtre ; une femme à moitié cachée par un énorme bouquet de fleurs.

L’artiste ne vise l’hyperréalisme, et les personnages sont éloquents justement parce que le spectateur peut passer sur les formes pour s’ouvrir au fond.

Les toiles de Scènes d’une vie en peinture viennent de la sœur de l’artiste, Catherine Gilbert qui, avec son mari Jean-Paul, a ouvert leur château de Limé aux artistes et musiciens. Au vernissage, elle a parlé du contexte sombre de cette exposition inondée de lumière.

Née en 1949, Françoise, étudiante aux Beaux-Arts, subit à 20 ans deux graves AVC, qui la laissent paralysée. Seuls son bras et son œil gauches sont valides. L’anéantissement. Un jour elle demande son chevalet. Elle peint d’abord les fleurs offertes à une malade, puis fait le grand saut : les réalités de la vie lui étant interdites, elle peindra sa vie imaginée : amoureux, enfants, rencontres. Elle est morte en 2020.

L’impression est de félicité, de jeunesse (les vieux sont absents) dans un cadre ensoleillé et idyllique. Il est donc tentant de voir en Françoise Federigo un exemple édifiant de contentement, de malheur transformé en bonheur par l’art.

Mais il faut regarder de plus près les personnages, en passant outre à leurs activités apparemment plaisantes. Presque tous sont peints les yeux grand ouverts, un point noir ou bleu entouré de blanc. Le couple dans un bois avec les enfants regardent l’un à gauche, l’autre à droite, le regard intense. Ne seraient-ils pas perdus, pourchassés ou même envisagent-ils de nuire aux enfants ? L’homme à la fenêtre ne regarde pas celle qui le regarde, et sa bouche fait un rictus en coin.

Françoise Federigo a fait des images où l’épanouissement, familial ou autre, prédomine, dans des couleurs franches. Mais elle y met aussi son destin d’estropiée. Sa vision est ambivalente, preuve de son statut d’artiste exploratrice de la nature humaine.

Le regard n’est pas béat : une femme assise se touche les cheveux, un homme debout derrière respire la suffisance. Titre du tableau : « Avec Luc, je vous emmerde tous ».


Catherine Gilbert parle de sa soeur l’artiste.

Catherine Gilbert a parlé au vernissage de sa sœur et d’elle-même, en évoquant le contexte familial. Leur père était un refugié politique italien, un homme rigoureux qui faisait tout pour assurer la réussite de ses filles. « Même pendant les vacances il nous imposait une version latine quotidienne. » Françoise, qui déviait du projet parental en voulant devenir artiste, avait dû insister pour le faire accepter.

Salim Le Kouaghet, associé au lycée Vinci pour l’activité de la galerie d’art, est notamment responsable de l’accrochage des expositions, et pour l’adaptation de l’espace. Il a disposé les tableaux de Françoise Federigo de façon à créer des résonances entre eux, parfois à instituer un dialogue.

Il a commenté les tableaux, en insistant sur leur qualité – peut-être pour dépasser l’admiration sympathique pour une artiste qui a pu surmonter son incapacité physique. Il a fait remarquer la beauté des couleurs qu’elle choisissait, et insistée sur le cadrage, qui peut paraître improvisé mais qui en fait est astucieux, en centrant l’attention sur ce qui compte.

Salim Le Kouaghet présente l’exposition.

Les visiteurs de l’exposition se rendront compte, peut-être pas immédiatement, que des fils de couleurs différentes lient le cadre de chaque tableau au pilier carré au centre de la galerie, formant un réseau qui rappelle l’unité de l’imagination qui a dicté les sujets. Il mène aussi à l’artiste elle-même : sur le côté du pilier en face de l’entrée, l’image de Françoise elle-même, en noir et blanc, est donc au cœur de ce réseau, et c’est elle qui accueille chacun avec l’ombre d’un sourire aux lèvres, et les yeux interrogateurs.

Accès 8h-18h hors vacances scolaires, sur RV au 06 20 73 77 75. Jusqu’au 13 janvier.

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