Antonio Segui à l’Arsenal.
Exposition Antonio Segui, Arsenal jusqu’au 30 août
Pour la première fois depuis l’exposition Titus-Carmel de 2010, tout l’espace de l’Arsenal, en haut et en bas, est occupé par un seul artiste, l’Argentin Antonio Segui. Cette grande rétrospective, allant de 1960 à 2014, permet de voir l’évolution et les constantes de sa peinture.
Le premier étage contient les œuvres les plus anciennes. Partout la férocité sociale côtoie l’humour, ceci aiguisant l’effet de cela. Sur une version de la leçon d’anatomie de Rembrandt l’artiste a superposé des traits, comme des graffiti ajoutés par un sacripant passant par là avec son marqueur. L’œil du spectateur est tiraillé, et un regard plus fluide nuance la première réaction.
Le rez-de-chaussée contient les tableaux peints depuis les années 80, surtout les grandes toiles caractéristiques sur lesquelles une multitude de personnages déambulent dans tous les sens. Ils se croisent, mais chacun est isolé par ses préoccupations.
Segui a écrit « J’ai réglé mes problèmes avec ma mère, avec Dieu, mais avec Cordoba, non ! » Est-ce à dire qu’il est en paix avec l’intime, comme avec ce qui dépasse le quotidien, mais que la société, sous les traits de sa ville natale en Argentine, persiste à le déranger ? Il est tentant de voir, dans l’agitation de ses personnages, un commentaire acerbe sur un monde où la solidarité, fracturée par l’économie consommatrice, s’efface devant d’arides cheminements individualistes.
L’humour n’adoucit pas l’isolement, il le souligne. Sur un tableau moins peuplé, trois flèches indiquent la direction du regard de trois hommes. L’un, assis sur un banc, regarde les fesses d’une femme nue qui lui tourne le dos. Un autre regarde ses cheveux. Le troisième regarde… l’homme du banc. Aucun regard n’est échangé.
Antonio Segui, avec sa compagne Clelia Taricco et ses amis Edward Shaw, collectionneur et critique, et l’artiste chilienne Bernardita Zegers, examine la maquette de l’exposition.
Il y a deux façons de regarder ses tableaux : poser son tabouret pliant et compulser chaque détail, comme si l’on lisait une bande dessinée, en appréciant chacun des personnages pareils mais uniques. Les hommes prédominent, la plupart portent le chapeau mou. Ils marchent de l’avant mais pour aller nulle part, sauf dans la direction que leur indique leur nez. (Quand l’artiste était de profil pendant une visite pour la presse, on reconnaissait, en taille plus raisonnable, le nez des tableaux.)
L’autre approche est de garder ses distances, renoncer à la séduction de l’anecdotique, voir l’agitation comme une abstraction.
Son humour s’étend jusqu’aux commentaires. De quelles collections viennent les tableaux ? « Tous sont à moi. Ceux que je n’ai pas pu vendre. A part une dizaine, mes invendus ! »
Le peintre anglais Patrick Heron a dit que « tout grand peintre a réussi à projeter un genre innovant et totalement distinct d’espace pictural ». C’est ce qui se sent derrière les techniques, le dessin, la composition, et ce qui fait que le visiteur à l’exposition d’Antonio Segui, au milieu de ses œuvres, se dit « Oui, ça doit être comme ça. »
denis.mahaffey@levase.fr
Page d’accueil : Un homme à moitié vêtu, à moitié crucifié.
[Modifié le 06/07/15 pour préciser les “deux façons de regarder”.]