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Histoire

La commune se retrouve

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L'art de la mémoire

Par tradition devenue habitude, mais sans oublier les origines de l’événement, la population de Chacrise, dans la vallée de la Crise, se réunit le 11 novembre pour commémorer la fin de la Grande guerre – « 14-18 » dit-on, sans plus. La cérémonie est prévue à… 11h15, pour que la fanfare d’Oulchy-le-Château arrive après avoir joué ailleurs. Dépôt de gerbe devant le monument aux morts, lecture à haute voix des noms inscrits (aux lettres redorées avec éclat pour ce Centenaire). « Mort sur le champ d’honneur », « Mort pour la France » : c’est dit simplement, sans emphase. L’éloignement dans le temps s’entend dans les vieux prénoms, « Hippolyte », « Octave ». Les enfants de l’école communale chantent la « Marseillaise ». Puis les participants vont boire un verre ensemble : après tout, il convient aussi de fêter la fin d’une guerre. Le rappel de ses morts, la petite fête : ainsi les habitants de Chacrise, comme dans chaque commune de France, se retrouvent les uns les autres dans le partage de ce qui est derrière le quotidien.

denis.mahaffey@levase.fr

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Histoire

Sur les échafaudages de la cathédrale : tutoyer les hauteurs

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L'art de la restauration

Vue du haut des échafaudages au-dessus du chevet de la cathédrale, avec une partie du cinéma à gauche, issue du site my. virtualplanadvantage.

Depuis automne 2021 une immense tente translucide cache les hauteurs de la cathédrale. Les Journées Nationales de l’Architecture ont permis à des Soissonnais de passer derrière et découvrir enfin ce qui s’y cache.

Yann Hégo, ingénieur du patrimoine

Une restauration de trois ans et de 9,5M euros est en cours, et nous étions invités à venir voir « les parties hautes ». Mais comment ? Eh bien, mettre un casque de sécurité et attendre en bas de la forêt d’échafaudages. Une douzaine de curieux devaient prendre le grand ascenseur de chantier pour chaque visite.

Yann Hégo, ingénieur du patrimoine à la DRAC Hauts-de-France, accompagne le groupe. Il fera preuve d’une connaissance profonde et détaillée du projet, que ce soit la complexité des échafaudages ou le détail du traitement des vitraux et sculptures extérieures. Le projet fait appel à 20 métiers d’art, pratiqués par 60 à 120 personnes selon le déroulement des travaux.

L’ascenseur se met à monter lentement et bruyamment, comme un monte-charge, jusqu’au 3e niveau. C’est impressionnant : de chaque côté le paysage urbain s’éloigne et s’étend. Nous sortons avec précaution sur le palier, recouvert de tôles antidérapantes qui bougent sous les pieds. Il n’y pas de danger, mais il est aventureux d’entrer sur un tel chantier. Il faut faire attention aux traverses basses signalées par des bandes noires et jaunes.

Nous sommes au niveau de la large corniche des murs de la nef, décorée par de petites sculptures. Le haut de la tour sud est visible juste au-dessus. Nous tutoyons les hauteurs de notre cathédrale.

Des gargouilles nous regardent avec les yeux de bêtes fantastiques. Ont-elles 800 ans ? « 100 » répond Yann Hégo « elles datent de la reconstruction après 1918. » Elles recevront seulement une goulotte en plomb pour l’écoulement, car le choix a été fait de préserver l’histoire qui a laissé ses traces sur la structure, même des impacts de balles sur la pierre.

Les sculptures sont traitées par laser, sablage ou silicones, un millimètre à la fois.

Nous montons au 4e niveau par une dizaine de marches métalliques et un demi-palier, avec une légère sensation d’avancer vers le vide, pour atteindre les combles de la cathédrale. Les gros chevrons nus en enfilade sont soutenus par des arbalétriers comme d’immenses cadres de parapluie. A l’ouest, une charpente en béton, datant des années 20, a été testée et trouvée saine. Ailleurs, tout bois défectueux est remplacé, ou réparé par de savants assemblages et greffes. Un chevron défiguré par une longue déchirure superficielle, trace de l’impact d’un obus, sera préservé.

Les arbalétriers sur la nef

La charpente sera recouverte d’ardoises importées d’Espagne, car il n’y plus que de petites ardoiseries en France, mais la plupart des matériaux de construction sont procurés localement.

La visite est terminée, mais Yann Hégo considère que d’autres rendez-vous pourraient être pris à des tournants importants du chantier.

Nous redescendons dans l’ascenseur grinçant et atterrissons, avec le sentiment d’avoir survolé à pied ce monument qui est au cœur de la ville, voire est son cœur.


 La présente opération marque un grand effort de rénovation de la cathédrale, après une période où elle semblait passer sous le radar. Elle concerne la remise en état des charpentes et couvertures des toitures hautes de la nef et du chœur, et des pierres qui l’encadrent. Un Plan de Relance gouvernemental a permis d’élargir le périmètre des travaux pour inclure les vitraux des baies hautes de la nef et du chœur et la mise en sécurité incendie des grands combles.

La cathédrale de Soissons appartient aux grandes cathédrales gothiques d’Ile-de-France et de Picardie, mais elle reste moins connue que d’autres, en raison de la perte du décor des trois portails de sa façade occidentale et de l’inachèvement de la tour nord, lui donnant un aspect austère qui ne reflète pas les intentions initiales.

Visites virtuelles du chantier
Il est possible de faire un retour immersif au cœur de la restauration de la cathédrale grâce à des visites virtuelles du chantier impressionnantes et très bien documentées :
Rénovation de la charpente 
Rénovation des chapiteaux  
Rénovation de la balustrade

[Cet article paraît dans le Vase Communicant n°365.]

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Histoire

Auguste Hiolin, sculpteur soissonnais

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L'art du statuaire

Monument de la pl. de la République à Soissons (photo de P. Ponsart-Ponsart)

L’homme de lettres Pascal Ponsart-Ponsart, de la Société Régionale Historique de Villers-Cotterêts, donnera une conférence sur le sculpteur Louis-Auguste Hiolin au Musée de Soissons le 1er mars.

Louis-Auguste Hiolin est né en 1846 à Septmonts, est mort à Silly-la-Poterie près de La Ferté-Milon en 1910, et est enterré à Septmonts. La conférence de Pascal Ponsart-Ponsart présente sa vie, ses études, sa carrière, ses succès, ses contemporains.

Artisan compétent et appliqué, sa période de célébrité a été brève, et il tient peu de place dans l’histoire de l’art. Cependant, les habitants de Soissons et de ses alentours peuvent croiser ses œuvres tous les jours, sans pouvoir identifier leur auteur. Voici l’occasion de le connaître.

Auguste Hiolin avec la maquette de la statue de Jean Racine enfant

Devenu maçon comme son père à la carrière Lévêque sur les hauteurs de son village natal, il a montré des dons pour le travail de la pierre, a étudié aux Beaux-Arts, et a eu une carrière de « statuaire », c’est-à-dire de sculpteur de statues pour les monuments et bâtiments.

Il n’a pas connu la gloire des grands sculpteurs comme Rodin ou David d’Anger, qui ont atteint une vision plus profonde de leurs sujets ; l’œuvre de Hiolin serait, selon le conférencier, trop académique, trop « Troisième République » ; mais sa « sobriété austère » a été admirée, et il a été très sollicité.

Il a réalisé la statue de Jean Racine enfant au chevet de l’église de La Ferté-Milon, celle de Viollet-le-Duc habillé en Saint Jacques à l’entrée de la chapelle du château de Pierrefonds, et surtout les statues pour le monument de la Défense Nationale sur la place de la République à Soissons : la Génie de la Patrie en bronze au sommet, la figure allégorique de la Ville, et le Défenseur mourant en pierre.

Il était spécialiste de portraits sur médaillons, en a même réalisé un pour orner la tombe de son père à Septmonts. En s’y rendant, Pascal Ponsart-Ponsart s’est aperçu que le médaillon a disparu.

La conférence aidera à comprendre l’empreinte laissée par Hiolin sur la vie publique, de Soissons et ailleurs.


Louis-Auguste Hiolin, sculpteur soissonnais (1846-1910), conférence de Pascal Ponsart-Ponsart. 1er mars à 18h au Musée Saint-Léger. Renseignements et inscriptions : 03 23 59 91 20 ou musee@ville-soissons.fr

Pascal Ponsart-Ponsart, né à Charleville-Mézières, a été marionnettiste, formé au métier des « comédiens de chiffon » à Prague, avant de faire carrière dans la fonction publique à Paris, tout en gardant son intérêt pour le théâtre.
En achetant une maison de campagne dans l’Aisne en 1994, il a été sollicité par les habitants de son village pour les faire jouer. Le Petit Théâtre de Montgobert a été fondé en 2013. Il y est metteur en scène, acteur, et il a écrit plusieurs pièces, notamment pour une collaboration avec le musée Racine de La Ferté-Milon, dont il a été vice-président.
Depuis la retraite il vit à Saint-Pierre-Aigle, où il prépare à présent deux livres d’histoire locale.

[Une version abrégée de cet article paraît dans le Vase Communicant n° 350.]

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Histoire

Des hirondelles en héritage

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L'art de l'amour céramique

C’est l’été. Dans la pénombre d’une cuisine, tous stores tirés contre la canicule de midi, les yeux panoramiquent, sortant un objet quotidien de son invisibilité habituelle.

Deux hirondelles tournent l’une autour de l’autre dans le ciel, au-dessus d’un jardin clôturé par des panneaux diaprés posés en quinconce. Au bord d’un lac un grand saule se penche sur l’eau, dominant des arbustes et arbres à feuillage ou fruitiers qui entourent un pavillon pagodal. Un batelier fait avancer un bateau à la godille ; trois sages défilent sur un pont en dos d’âne à cinq arches. Mais sans mouvement : l’histoire qui anime les personnes, le bateau, l’eau, les feuilles et les oiseaux est immobilisée par l’absence de temps. Elle restera à jamais sans dénouement.

Tous les composants sont bleus, imprimés sur le fond blanc d’un plat en faïence ordinaire de Delft. Le plat, retraité des tables à manger et accroché au-dessus d’une fenêtre de cuisine, est immobilisé aussi, comme le conte qu’il porte.

Il est marqué par les cicatrices de son métier de porteur de mets brûlants. N’étant pas en porcelaine dure, la surface s’est craquelée. Deux fissures noires s’étendent du bord ovale vers le creux du plat. L’une a été réparée par un pontage, dont les deux plots de plomb sont visibles.

Le dessin est traditionnel, et s’appelle « au motif de saule ». Cette chinoiserie willow-pattern a été conçue en Angleterre au 18e siècle par Thomas Minton, à partir d’éléments trouvés sur des assiettes importées de Chine.

Le succès du dessin a été tel qu’il a fallu inventer et diffuser une histoire pour le justifier. Pour résumer, la fille d’un mandarin aime un pauvre comptable, alors qu’elle doit épouser un puissant seigneur. Les amants s’échappent, mais les soldats du seigneur les retrouvent et les tuent. Les dieux, émus par leur amour, les transforment en hirondelles.

Quand j’étais enfant en Irlande, ma mère servait la dinde de Noël dans ce plat. Elle l’avait reçu de sa mère, je l’ai récupéré dans ses affaires.

Mais il peut venir de plus loin. La grand-mère ne l’aurait-elle pas hérité de sa mère ? La question reflète la connaissance fragmentaire de l’ascendance maternelle. Je n’en connais que des bribes, racontées par les aïeux ou recueillies dans un effort passager d’établir une généalogie. Ces informations et souvenirs contiennent des anomalies – dont je ne me suis aperçu qu’en les regardant ici par la loupe de l’écriture.

Ma grand-mère Isabella est née à Glasgow en Ecosse, d’un père irlandais, William Halliday, et d’une mère écossaise (comme son nom, Catherine Kincade, laisse supposer). Selon une de mes tantes, ils s’étaient rencontrés à une pendaison publique à Glasgow. Fait banal à l’époque, tout au plus insolite, elle introduit un élément funeste dans l’histoire familiale.

William faisait-il, comme il a été dit, partie du contingent de saisonniers irlandais en Ecosse ? En ce temps-là les liaisons maritimes étaient beaucoup plus commodes que le maigre réseau de routes rudimentaires, ce qui explique le tissage de liens denses entre l’Irlande du Nord et la Basse Ecosse toute proche.

Mais William était serrurier. Que faisait-il en Ecosse ? Combien de temps y est-il resté ? Ma grand-mère avait l’accent de Belfast, ne nous parlait jamais de Glasgow.

Voilà un lignage qui a plus de lacunes que de faits. Le plat de faïence accompagne (s’il ne précède pas) cet itinéraire troué. Si seulement j’avais interrogé mes aïeux… voilà le reproche que se font les gens en première ligne des générations, quand la conversation se tourne vers le passé familial. Les vieux racontaient, nous n’écoutions que distraitement, trop pris par notre avenir pour nous intéresser au passé des autres.

Et pourtant, je m’en trouve bien. Les familles éminentes et à biens tiennent la chronique de leur histoire, lestée par les titres et le patrimoine à transmettre. J’aime mieux ces points de lumière incertaine dans la nuit du passé qu’un soleil aveuglant qui expose chaque détail. Un mystère historique précède chaque vie, avec quelques indices. J’émerge du mystère, me laisse intriguer par les indices, mais sans consultation systématique d’archives, de registres paroissiaux, d’inscriptions.

Je pourrais écrire sur une étiquette les fragments d’information que je possède sur le plat bleu-blanc et la coller derrière à l’intention des générations à venir. Je ne le ferai pas. Orné ou pas de vagues souvenirs il avancera tel qu’il est, avec son lac, sa pagode, sa clôture diaprée, son saule, ses deux hirondelles qui tournent, et tournent, l’une autour de l’autre.

[Contact : denis.mahaffey@levase.fr]

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