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Exposition

L’art sans esthétique

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L'art de l'art brut

[Une version condensée de cet article paraît dans le Vase Communicant n°322.]

L’exposition L’art incognito est organisée par le lycée Léonard-de-Vinci de Soissons, l’espace culturel La Cordonnerie de l’hôpital psychiatrique de Prémontré, et la Ligue de l’Enseignement de l’Aisne. Elle est ouverte aux élèves et au public dans la galerie d’art du lycée jusqu’au 17 décembre.

Comme un cri d’angoisse

Il suffit d’un seul regard en entrant dans la galerie d’art du lycée pour se rendre compte que l’exposition ne contiendra rien d’académique ni de banal. Les tableaux qui entourent le visiteur sont éloquents : d’un portrait de tête faite de volutes élégantes à une toile couverte de taches de couleurs vives et qui est comme un cri d’angoisse sans fard, ils reflètent un besoin impérieux d’expression qui ne vise pas à déployer une esthétique.

L’exposition rassemble des œuvres peintes par des résidents de la Cordonnerie. C’est de l’art brut, selon Jean Dubuffet, qui a inventé le terme pour désigner l’art produit par des personnes sans culture ni formation artistique. Les participants n’apprennent pas à peindre, ils peignent. L’absence d’intention esthétique donne une spontanéité au résultat, sans respect de règles techniques ni sous-entendu intellectuel.

Le commissariat de l’exposition est assuré par Hortense Garapon, professeur au lycée, et Sarah Downing, qui y a enseigné. Le peintre et sculpteur Salim le Kouaghet, qui connait l’espace culturel à Prémontré pour y avoir animé des ateliers par le passé, a été chargé de l’accrochage. Il a groupé les tableaux par catégorie : abstraits, portraits, couleur. Les artistes restent anonymes, sauf que deux assemblages de triangles affichent fièrement un nom de pinceau : Picasso !

Un portrait composé de volutes élégantes

Un ruban en plastique rouge et blanc, comme ceux qui barrent l’accès à des espaces devenus hasardeux, est attaché à des poteaux autour de la salle, a quelques dizaines de centimètres des tableaux. Pour Salim Le Kouaghet, il symbolise la barrière qui enferme  les personnes malades mentales. « Il fait penser aussi à la distanciation imposée par le Covid. » L’effet est multiple, et légitimement dérangeant : qui est enfermé, qui est protégé, l’artiste ou le spectateur ?

La pandémie a retardé longuement le vernissage. Après une version virtuelle en mai dernier, il a eu lieu en octobre en présence de Dominique Haraut, Proviseur du Lycée, des deux enseignantes commissaires, et de Catherine Hopin, Responsable au service d’Action Sociale de Prémontré.

Véronique Wysocki, éducatrice spécialisée qui s’occupe des ateliers quotidiens, a parlé de ses rencontres avec les personnes qui peignent. Sans identifier les peintres, elle analyse les peintures par rapport aux difficultés qui les ont amenés à être résidents de l’hôpital de Prémontré.

Des groupes d’élèves visitent l’exposition avec un intervenant. Une question accompagne chaque tableaux pour aiguillonner les réactions : « C’est un gendarme : faut-il en avoir peur ? » En décembre il y aura une grande journée de sensibilisation à la santé mentale pour les classes de Terminale.

L’Art Incognito fait partie d’un grand projet autour de l’inclusion et du vivre-ensemble, et place ces idées dans le contexte de la santé mentale. En 2022 une nouvelle exposition, Peindre en Haïti, résistances culturelles, prendra place dans la galerie.

Dédale d’îles ou pays fracturé par une explosion, ou….

L’Art Incognito pose diverses interrogations artistiques. Un tableau peint par une personne qui ne joue pas le rôle d’un artiste est-ce de l’art ? Admirer un tel tableau équivaut-il pour l’admirateur à la détection de qualités artistiques ? Quelles sont les qualités traitées d’« artistiques » ? Comment distinguer une œuvre d’art d’une combinaison accidentelle de composantes – et faut-il distinguer entre l’une et l’autre ?

Les visiteurs peuvent avoir une réaction personnelle forte devant tel tableau de l’exposition. Sur une toile des fragments de couleurs diverses flottent sur un fond bleu. Un dédale d’îles qui font rêver de croisières paisibles – ou un pays fracturé par une explosion extérieure ou intérieure, où chacun lutte pour atteindre un refuge précaire ?

En quittant l’exposition un visiteur attentif, qui a été sensible à la valeur absolue des tableaux et aux discours sur l’art brut, peut avoir le sentiment, presque une sensation, que ce sont eux qui le regardent, sans insistance ni curiosité, mais d’égal à égal.


Pour visiter Art Incognito ou avoir un intervenant pour une visite scolaire, contacter l’Accueil du lycée.

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