Un détail de La Rencontre de Lucien Jonas
En 1928 le peintre Lucien Jonas, né à Valenciennes (*) en 1880, était à Soissons. La ville reprenait souffle après la Guerre et était en pleine reconstruction. L’artiste a obtenu un contrat pour décorer la salle des fêtes du nouvel Hôtel de la Croix d’Or de la rue Saint-Christophe, établissement d’accueil depuis le 16e siècle. 30 mètres de long sur 3,80 de haut : la commande était conséquente. Mais Jonas, connu pour ses talents de dessinateur et de peintre, qu’il savait déployer, au besoin, pour des travaux plutôt décoratifs, et pour sa capacité de production, n’a pas été impressionné : son journal raconte le quotidien du projet.
L’hôtel à fermé ses portes au début des années ’70. Les peintures de Jonas ont été démontées ensuite. Comme elles étaient marouflées, c’est-à-dire collés aux murs de la salle, il a fallu les « démaroufler » en les détachant du support. Une colle forte avait été utilisée, non pas le mélange de farine et d’eau souvent employé, et l’opération a laissé des traces au dos des toiles.
Les tableaux ont été dispersés. Mais il y a quelque temps ils ont été retrouvés, et mis en vente – a Soissons, sous le contrôle du commissaire-priseur Bruce Roelens. Ils ont été acquis à l’intention du Musée de Soissons par la procédure de pré-emption, permettant aux pouvoirs publics d’intervenir au prix offert par l’adjudicataire individuel.
Il a fallu ensuite entreprendre leur conservation et restauration. Deux visites guidées ont été prévues par Christophe Brouard, directeur du Musée, pour permettre au public de voir ce travail, effectués par deux équipes successives dans deux salles du rez-de-chaussée de l’Arsenal. Dans l’une, les tableaux monumentaux sont adossés aux murs, recouverts par des draps blancs ; dans l’autre, c’est le support au dos de deux autres toiles qui est visible. Pendant la visite l’équipe travaille sur celle qui est posée à plat ; l’autre est appuyée au mur.
David Prot explique son travail de restaurateur de support.
Cette première série d’opérations a été présentée par deux « restaurateurs de support », David Prot et Antoine Leménager. Car il faut d’abord s’occuper du support, en remplaçant le réseau de cadres en bois sur lesquels chaque grande toile est tendue. Il faut dégager les traces de colle et les défauts provoqués. Ensuite, ils insèrent des feuilles pour absorber les variations de température et d’humidité que devront supporter les toiles, notamment pendant leur transport.
Ils seront suivis par une équipe de « restaurateurs de couche picturale » qui recevront à nouveau le public.
C’est un travail conséquent, et un considérable investissement pour la Ville, encore que, rappellent les deux experts, il s’agit non pas d’une restauration « complète » mais d’une remise en état a minima.
Antoine Leménager au travail.
Le Musée peut compter sur la qualité du travail : après Soissons David Prot et Antoine Leménager iront à Paris où, avec dix-sept autres équipes de restaurateurs, ils participeront à la restauration du bureau du Président de la République. « La sécurité ne sera pas la même ! » suppose David Prot.
Evidemment, le moment crucial de la visite à été le dévoilement d’un tableau en cours de restauration et appuyé au mur. Lentement, il est retourné et le drap recouvrant sa surface est enlevé. C’est La rencontre. Voici, en vidéo, ce qui se passe.
Il faut admettre que ce qui se voit montre le travail de décorateur de Jonas. Ses qualités de dessinateur sont évidentes dans les personnages groupés autour d’un orateur (qui portait une mitre dans une version antérieure de l’image, explique Christophe Brouard). Il manquerait à ces toiles monumentales, peintes sans perdre de temps avant de passer à la commande suivante, l’intensité d’un artiste qui dépasse le pittoresque et reflète son observation minutieuse ou visionnaire du monde, et sa capacité à la traduire cette observation en images, en mots, en notes de musique. Ainsi il pourra toucher profondément le spectateur, non seulement le distraire.
Les tableaux de la Croix d’Or feront partie d’une exposition consacrée à Lucien Jonas au printemps prochain qui permettra de juger l’autre aspect de son travail : ses portraits, ses peintures de guerre, de mineurs. Mais c’est sa commande pour l’hôtel de Soissons qui lui nous aura donné l’occasion de mieux le connaître.
(*) Plus précisément à Anzin, dans la banlieue de la ville.
[12/08/2020 : Le texte est modifié d’après des précisions fournies par Christophe Brouard concernant la hauteur des tableaux et la procédure de préemption utilisée pour les acquérir.]