Dominique Natanson a choisi une structure complexe pour son livre, que le lecteur doit aborder attentivement, mais qui lui apportera en retour, non seulement une histoire poignante, mais aussi l’accès au mystère des choix à faire par un écrivain en construisant son histoire. Habituellement résolus à l’avance, ses doutes et hésitations deviennent la raison d’être de son livre.
Une famille juive d’origine roumaine est arrêtée dans la rafle de 1941 à Paris, avant d’être déportée et tuée à Auschwitz. Aaron le père, Gertrude la mère, Rachel la fillette, Hilda la cousine ; seul le fils Nathan, père du narrateur, est ailleurs.
Contre la vérité de leurs morts il prend les armes de l’imaginaire, et invente pour chacun un autre sort, une survie, comme Gertrude l’invalide, qui fuit à la campagne, devient maraîchère, offre un refuge aux perdus, retrouve même ses enfants.
Le narrateur est tour à tour narquois, ironique, rageur, porteur du vide béant de l’Holocauste, qu’il tente de cacher derrière ses inventions et qui ne s’est jamais refermé.
Le livre atteint le tragique en concluant enfin les situations imaginaires. Gertrude disparaît ; ses voisins inquiets forcent l’entrée de sa maison, qu’ils trouvent vide, délabrée, couverte de poussière, inoccupée depuis longtemps. La petite Rachel part seul sur une route sans destination, « le poids du désespoir sur ses épaules enfantines ».
Seul Nathan, père du narrateur, survit jusqu’en 1970. Le père de l’auteur serait-il mort la même année ? Qu’est-ce qui est fiction, qu’est qui est vrai ? A la question, Dominique Natanson répond : « Écrire c’est prendre des bribes du réel et remuer de toutes ses forces le kaléidoscope. »
______________________________________________________________________
Mutineries de l’imaginaire, éd. Echelle du Temple : disponible dans les librairies de Soissons et en ligne editions-de-l-echelle-du-temple.over-blog.com
[Cet article paraît dans le Vase Communicant n°372.]