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Le Vase des Arts

Mozart, de concert

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L'art de l'intégrale

La totalité des sonates de Mozart pour violon et piano en quatre récitals sur trois jours, dimanche, lundi et mardi : cela donne un autre sens au mot « concert ». L’événement à la Cité de la Musique et de la Danse de Soissons a généré une ambiance de festival, les auditeurs se croisant constamment dans la « rue » qui la traverse.

Une chorégraphie pour Mozart : Renaud Capuçon au violon, Kit Armstrong au piano

Par ailleurs, les seize sonates étaient enregistrées en direct pour le label Erato ; en plus, France 3 avait installé une batterie de caméras pour filmer les concerts en vue d’un programme de 52 minutes, à diffuser ultérieurement. Deux micros tendus vers la salle pour capter les réactions du public rappelaient l’importance de sa présence.

Renaud Capuçon au violon et Kit Armstrong au piano se sont retrouvés ensemble, après leur participation au festival de Laon en 2018. C’est l’histoire d’une entente musicale et personnelle. En 2017 Kit Armstrong a invité Renaud Capuçon à jouer dans l’église qu’il a achetée et transformée en centre culturel à Hirson. Ils se sont si bien entendus qu’ils ont accepté la proposition de Jean-Michel Verneiges, directeur du festival, et de l’Association pour le Développement des Activités Musicales dans l’Aisne (ADAMA), d’y jouer l’intégrale des sonates de Beethoven. Leur retour pour Mozart confirme le partenariat.

Cet événement exceptionnel est la preuve que la programmation de la CMD s’éloigne d’une série de « soirées musicales » pour lesquelles elle n’accueillerait que des concerts tout faits ailleurs. « Je pense que ce projet laissera ses traces » commente Jean-Michel Verneiges,

Renaud Capuçon et son violon Guarneri, mis à sa disposition par la banque suisse BSI

Un tel projet permet aux amateurs de musique de compléter leurs connaissances d’un compositeur et d’approfondir leur expérience musicale. Cela tient du cours, donc, d’une série de leçons, mais sans rien de scolaire : avec Mozart, c’est plutôt un apprentissage de la sensibilité, rendant l’auditeur plus ouvert à la joie de vivre que la musique exprime, à son bouillonnement créatif, aux conversations établies entre les instruments, mais aussi à sa gravité, ses langueurs, ses moments de silence qui interpellent.

La musique de Mozart n’est jamais difficile à écouter, jamais obscure, elle est infailliblement mélodique, se renouvelle constamment. Elle n’est jamais formatée : on peut mettre un auditeur au défi de trouver des schémas répétitifs. Ces sonates chatoyantes passent de l’espièglerie à l’austérité. Les auditeurs n’ont pas le temps de s’habituer, encore moins de s’ennuyer.

Le jeu de Capuçon comme d’Armstrong y contribue par sa clarté, son intelligence, et son aisance – qui, comme celle des danseurs classiques, cache tout effort pour ne pas parasiter l’attention.

Les sonates n’ont pas été jouées par ordre chronologique mais sélectionnées, quatre par récital, pour créer un programme cohérent, se terminant chaque fois par un chef d’œuvre.

Kit Armstrong a demandé un piano Bechstein, la marque qui le suit dans sa carrière.

Chacun dans la salle aura été sensible à telle sonate, tel mouvement. Il y a la K301 par laquelle la série à commencé, et qui aurait pu être de Beethoven ; ou le 1er mouvement de la K379, presque Romantique ; ou la K547, où le violon s’efface jusqu’à ne poser que les accents sur les mots de la partie piano ; ou la dernière sonate du compositeur – et du cycle de concerts – la K526, dont Einstein a dit de l’Andante central « Ce mouvement lent réalise un tel équilibre de l’âme et de l’art qu’on dirait que Dieu le Père a fait cesser tout mouvement pour une minute d’éternité, afin de permettre à tous les Justes de goûter l’âpre douceur de l’existence. »

Le mot « concert » a un autre sens, et les deux musiciens l’ont illustré tout au long du cycle. Renaud Capuçon et Kit Armstrong jouent « de concert ». Ils se passent la priorité selon la dynamique musicale, naturellement, par une sympathie d’écoute. Chacun met en valeur les notes de l’autre.

Mais plus que cela, il y a une évidente chaleur entre eux qui a touché le public et assuré son accueil enthousiaste. Ils laissent voir leur complicité, se sourient, échangent des remarques, rient quand il y a un moment de confusion sur le choix d’un bis. Kit Armstrong traite Renaud Capuçon comme un grand frère, suit son initiative en s’inclinant devant les applaudissements. Quand le violoniste se fige, les yeux fermés, avant de jouer, le pianiste attend en le regardant. (*)

Des musiciens contents de jouer ensemble

Le troisième récital a eu lieu l’après-midi, devant une salle en partie scolaire, et l’ambiance a été plus détendue. Il y a même eu un moment de clownerie involontaire, quand Kit Armstrong a voulu ajuster la hauteur de son tabouret et s’est trouvé presque à genoux par terre. De sa seule main libre, Renaud Capuçon l’a aidé à le remonter et le bloquer.

Une grande réussite, donc, pour la CMD, pour les spectateurs et pour les musiciens, cette rencontre avec une musique si simple et profonde, si constamment inattendue et inévitable. A la fin Kit Armstrong a répété le commentaire du pianiste Artur Schnabel : « Les sonates pour piano de Mozart sont trop faciles pour les enfants et trop difficiles pour les artistes. »


 (*) Les moments de concentration intense de Renaud Capuçon rappellent ce qu’il a dit des concertos de Mozart : « Il faut être en harmonie avec soi-même, du bout des orteils à la pointe des cheveux, être totalement libre pour aborder cette écriture d’un jet. Avoir une colonne vertébrale bien placée et une grande sérénité. Autrement, inutile d’essayer. »

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Exposition

Kim KototamaLune : la lumière piégée

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L'art du verre

Le grand espace d’exposition de l’Arsenal est plongé dans une pénombre déroutante, brisée seulement par des taches de lumière éclairant les œuvres en verre de Kim KototamaLune. Cette artiste d’origine vietnamienne est accompagnée de son collectif Bones and Clouds (Jean-Benoist Sallé et Stéphane Baz) pour l’exposition 3.5, qui passera l’été au musée.

Après avoir travaillé des matériaux plus traditionnels, l’artiste a choisi le verre, filé au chalumeau, thermoformé ou soufflé.  Sa spécialité est de le filer sans matrice, par le vide, minuscule soudure après soudure, réseau après réseau, pour créer des filets qu’elle utilise pour créer toutes les formes qui l’inspirent. Le sommet d’une structure en forme d’obus est recouvert ainsi par une résille qui ressemble à une écharpe abandonnée, ou de l’eau savonneuse : quelque soit l’interprétation du visiteur, il voit d’abord, non pas la matière de la sculpture, mais la lumière qu’elle piège dans l’éclairage.

Kim KototamaLuneau au vernissage

Dans la petite salle de l’espace, un balancier muni d’un rocher arrondi (en réalité fait de polymère) suit son mouvement de va-et-vient au dessus d’une longue table. Y sont empilés de petits objets d’une grande délicatesse, comme des récipients, flacons, bols, mais dont les formes de base s’entourent d’un nuage de petites branches, comme si la matière se dissipait sous la menace du rocher.

L’exposition fait suite à Deus ex machina de 2021 et le commissaire scientifique reste Clément Thibault, spécialiste de l’art numérique. Pour lui, le titre se réfère au fait que, au lieu des trois dimensions familières, il y en a sans doute plus – ou moins. Il est possible de suivre ses raisonnements sur la virtualité ; ou bien plonger le regard, sans arrière-pensée, dans ces œuvres diaphanes, délicates, ravissantes, qui reflètent la lumière tout en paraissant la consommer, la devenir.


“3.5”, musée de l’Arsenal jusqu’au 3 sept.

[Cet article paraît dans le Vase Communicant n°357.]

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Danse

Le ballet sans danse

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L'art de l'orchestre

Tamara Karsavina est la Jeune Fille, Vaslav Nijinski est le Spectre.

Sans danseurs, la musique de ballet perd de son côté spectaculaire, mais gagne en écoute. Présents, les danseurs accaparent les regards, and la musique devient un accompagnement. Les musiciens sont cachés dans la fosse d’orchestre – ou remplacés, de plus en plus, par une bande sonore qui sort d’amplificateurs.

L’orchestre Les Siècles, sous la direction de François-Xavier Roth, a changé l’angle d’approche en choisissant, pour son retour à la Cité de la Musique, trois partitions pour des ballets créés par les Ballets Russes à Paris. Neuf jours après le concert ce serait le cent-dixième anniversaire de la création mouvementée du Sacre du printemps, composé par Igor Stravinsky ; au nouveau théâtre des Champs-Elysées. Au même programme de 1913 deux autres ballets, Prélude à l’après-midi d’un faune, créé un an avant sur la musique de Debussy, et Le spectre de la Rose, créé en 1911 sur celle de Weber. Ce parallèle a permis au directeur des Siècles, avec sa verve habituelle, de définir la soirée de « la Première de ces trois ballets à Soissons ».

Ecoutées au lieu d’être simplement entendues, à l’avant-plan au lieu de l’arrière-plan, les trois partitions ont révélé leur richesses, en rendant la structure du jeu des musiciens visible. Un concert orchestral est dans ce sens un spectacle : le célèbre thème d’ouverture du Prélude à l’après-midi d’un faune prend toute son importance quand la flûtiste a levé son instrument pour entraîner l’orchestre derrière elle, comme le Flûtiste de Hamelin du conte.

Invitation à la danse de Weber, orchestrée par Berlioz, sert de partition pour Le Spectre de la Rose, adaptation d’un poème de Théophile Gautier. Une jeune fille s’endort dans un fauteuil après son premier bal, une rose à la main, et rêve. . La Rose, devenue jeune homme, la fait danser, part, et elle s’éveille. Sur le plateau, c’est un violoncelle, rejoint par des cordes, qui accompagne son endormissement et qui, en solo après le paroxysme de la danse, son doux réveil. (*)

Dans le Sacre du printemps, Stravinsky a rendu fous furieux ses adversaires qui ont troublé la Première, par ses rythmes sauvages, ses dissonances, ses ruptures, ses changements de tempo et arrêts soudains. Ce qui leur semblait être du terrorisme musical était simplement sa volonté novatrice d’abandonner les conventions mélodiques et d’harmonie auxquels les mélomanes paresseux s’étaient depuis si longtemps habitués.

Même la composition de l’orchestre a reflété les intentions différentes des trois compositeurs (ou de Berlioz) : la soirée a commencé avec environ quatre-vingts instrumentistes sur scène pour Debussy ; ils ont été rejoints par une dizaine d’autres pour Weber ; pour Stravinsky ils étaient une centaine. Sous les projecteurs : dans une salle d’Opéra chacun aurait été dans la pénombre et seuls les pupitres auraient été éclairés.

L’incident

La fin du Spectre de la Rose a été interrompue par des applaudissements prématurés. La danse qui est au cœur de la composition, entre l’introduction et le coda, se termine dans une valse retentissante. Quand elle a pris fin une partie du public, comme parune réaction physique, a commencé à applaudir. Sans se retourner, François-Xavier Roth a levé la main gauche pour arrêter les applaudissements, mais sans effet. Enfin, ceux qui applaudissaient se sont rendu compte que quelque chose n’allait pas, et les uns après les autres ils se sont arrêtés. Trop lentement quand même, et le violoncelliste a commencé courageusement les dernières mesures, alors que le silence n’était pas entièrement rétabli. L’œuvre terminée, le chef, encore sans se retourner, a fait un geste, cette fois pour autoriser et encourager le public à montrer son enthousiasme.

L’incident a des échos dans l’histoire de ce ballet. Ceux qui l’ont vu savent que quand le danseur sort, au moment culminant de la valse, le public peut rarement s’empêcher de saluer l’exploit acrobatique. Mais l’histoire raconte que chaque fois que le ballet était dansé par ses créateurs, Tamara Karsavina et Vaslav Nijinski, la puissance du jeu dramatique de la ballerine était telle que, quand son partenaire la quittait en semblant flotter à travers la fenêtre ouverte, le public retenait ses applaudissements pour ne pas rater le réveil de la Jeune Fille émerveillée par ce qu’elle avait vu en rêve.

(*) Chaque œuvre est détaillée avec érudition et finesse dans la feuille qui a accompagné le programme en papier, par la Classe d’analyse du Conservatoire du Soissonnais.

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Le Vase des Arts

La douleur de Dominique Blanc

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L'art de jouer

Une femme, l’air abandonnée par elle-même, est assise à une table. Elle parle. « Face à la cheminée, le téléphone, il est à côté de moi. À droite, la porte du salon et le couloir. Au fond du couloir, la porte d’entrée. Il pourrait revenir directement, il sonnerait à la porte d’entrée : “Qui est là — C’est moi”. »

A travers La Douleur, la comédienne Dominique Blanc vit depuis plus de dix ans avec la douleur en tant que comédienne. En 2010, elle a d’abord fait une lecture du texte de Marguerite Duras, puis l’a joué dans un spectacle mis en scène par Patrice Chéreau. C’est dans cette même mise en scène, revue par Thierry Thieû Niang, qu’elle a repris le rôle, d’abord à Paris, ensuite pour une tournée qui l’a amenée au théâtre du Mail à Soissons.

Le texte relate l’attente fébrile d’une femme dont le mari a été déporté dans un camp de concentration allemand en 1944, et son retour. La situation reflète celle de l’auteure elle-même, face à la déportation de son mari Robert Anthelme, et le texte de la nouvelle est adapté d’un journal intime qu’elle aurait gardé pendant cette période d’attente.

La femme sur scène subit l’attente insoutenable, dans une impuissance qui n’est pas exceptionnelle mais celle « de tous les temps, celle des femmes de tous les temps, de tous les lieux du monde : celle des hommes au retour de la guerre  »

Etant donné la matière du texte, le public pouvait s’attendre à une performance, dans le sens d’un déploiement de sentiments extrêmes, des crises d’angoisse, des larmes ; un corps à l’agonie, des émotions qui débordent.

Dominique Blanc choisit une autre approche, qui est un défi aux conventions du théâtre. C’est celle de la transparence. Comédienne, elle transmet ce qui se passe, mais sans jamais forcer le trait. La douleur passe par son corps et sa voix sans jamais devenir paroxysme : ils servent de messagers entre le plateau et la salle, sans rien ajouter. C’est au spectateur, pourrait-on dire, de faire ce qu’il veut, ou peut, de ce qu’il voit et entend.

L’aspect physique de la comédienne contribue à cette transmission, son corps en retrait, son regard légèrement tombant, son grand front comme un écran blanc. Dominique Blanc établit une sorte de vide que chaque spectateur remplit par son accueil de ce qu’elle dit et fait.

Pour ceux dans la salle qui ne la connaissaient que par le cinéma, la rencontre en chair et en os a pu confirmer que c’est une artiste dont la force est d’autant plus étonnante qu’elle ne la met pas en avant. Tout est réserve, tout est transparence. Dans La douleur, au lieu de faire voir sa douleur, elle la laisse voir.


Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

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