Connectez-vous avec le Vase

Danse

La virilité de Carmen

Publié

le

L'art de détourner la danse

Dès le début, Car/men flamboie. Huit danseurs et danseuses et une chanteuse exécutent une danse flamenco, tous habillés en blanc à gros pois rouges, comme sur le fond de scène projeté derrière eux. Ils sont masqués. Les traînes ruchées fouettent le plateau à chaque mouvement, les doigts dessinent des rinceaux au-dessus des têtes.

La chanteuse interprète Bizet avec une voix haut placée à faire vibrer les tympans, et se déplace avec une belle morgue espagnole. Elle se découvre, en repliant le haut col roulé qui couvrait son visage. C’est un homme avec une barbe, Antonio Macipe. Les danseurs, en collant ou en robe, se démasquent à leur tour. Ce sont tous des hommes..

Dans Tutu, il y a trois ans, les mêmes Chicos Mambo tournaient en dérision les conventions de la danse. Cette fois, le sujet est Carmen, icône de la séduction féminine irrésistible et destructrice. Car/men prend le sujet et défait ses coutures pour découvrir les doublures qui lui donnent du corps.

Il met en scène des hommes qui s’habillent et se comportent parfois en femme (souvent vêtus seulement d’une jupe ballonnante), parfois en hommes (avec un slip noir). Car/men compare et contraste les comportements attendus féminins et masculins, sans en faire une étude comportementale : un objectif parallèle est de susciter des rires généreux, par les acrobaties mentales imposées aux spectateurs devant les retournements de genre.

La robe s’envole autour du danseur.

Il ne s’agit pas de grosse farce non plus. Les comportements sont adoptés avec une grande attention au détail, tel le grand sourire de circonstance, toutes dents dehors, qu’affichent les danseurs comme des candidates d’un concours Miss France.

Tout n’est pas dérision, et certains passages sont d’autant plus marquants.

Un danseur entre en scène caché par une tente couleur de feu qu’il tient au-dessus de la tête, comme pour un mariage oriental. Il la descend, passe la tête puis les épaules, et le voilà habillée d’une robe soyeuse et volumineuse. Il bouge, et le tissu s’envole autour de lui. Il découvre ce que sent une femme quand ses jupes amplifient ses mouvements, et que chaque pas de danse déclenche ce tourbillonnement, créant une géométrie de courbes dans l’espace.

Sur une scène obscure, devant une tête de Minotaure, Samir M’kirech danse lentement, dos à la salle sauf quand il tourne en rond. Il est nu, un homme sans déguisement ni détournement.

Tout est mâle sauf les bottines.

Jamais les spectateurs ne se tromperaient : ce sont des hommes qui dansent. Ce n’est pas leur masculinité qui rend leurs efforts pour jouer les femmes peu convaincants, mais leur virilité. La masculinité se pose sur le corps d’un homme, la virilité vient de l’intérieur.

Chico Mambos, c’est son habitude, fait du comique avec les conventions du ballet classique, mais sans jamais mettre en question la vraie nature de la danse, qui est d’avoir recours au corps, comme le poète a recours aux mots, pour créer de l’art.

Le spectacle prend fin, et un autre commence. Philippe Lafeuille, fondateur et chorégraphe de Chicos Mambo depuis 1994, rejoint ses danseurs et esquisse quelques pas de danse, rappel discret de son talent. Ensuite, chaque danseur avance et montre avec éclat ce dont il est capable. Les ambivalences délibérées de Car/men sont abandonnées, et ces hommes se mesurent l’un contre l’autre. C’est un battle.

[26/12/19 : modification de l’orthographe du nom du chorégraphe Philippe Lafeuille]

Continuer la lecture

Danse

Le ballet sans danse

Publié

le

L'art de l'orchestre

Tamara Karsavina est la Jeune Fille, Vaslav Nijinski est le Spectre.

Sans danseurs, la musique de ballet perd de son côté spectaculaire, mais gagne en écoute. Présents, les danseurs accaparent les regards, and la musique devient un accompagnement. Les musiciens sont cachés dans la fosse d’orchestre – ou remplacés, de plus en plus, par une bande sonore qui sort d’amplificateurs.

L’orchestre Les Siècles, sous la direction de François-Xavier Roth, a changé l’angle d’approche en choisissant, pour son retour à la Cité de la Musique, trois partitions pour des ballets créés par les Ballets Russes à Paris. Neuf jours après le concert ce serait le cent-dixième anniversaire de la création mouvementée du Sacre du printemps, composé par Igor Stravinsky ; au nouveau théâtre des Champs-Elysées. Au même programme de 1913 deux autres ballets, Prélude à l’après-midi d’un faune, créé un an avant sur la musique de Debussy, et Le spectre de la Rose, créé en 1911 sur celle de Weber. Ce parallèle a permis au directeur des Siècles, avec sa verve habituelle, de définir la soirée de « la Première de ces trois ballets à Soissons ».

Ecoutées au lieu d’être simplement entendues, à l’avant-plan au lieu de l’arrière-plan, les trois partitions ont révélé leur richesses, en rendant la structure du jeu des musiciens visible. Un concert orchestral est dans ce sens un spectacle : le célèbre thème d’ouverture du Prélude à l’après-midi d’un faune prend toute son importance quand la flûtiste a levé son instrument pour entraîner l’orchestre derrière elle, comme le Flûtiste de Hamelin du conte.

Invitation à la danse de Weber, orchestrée par Berlioz, sert de partition pour Le Spectre de la Rose, adaptation d’un poème de Théophile Gautier. Une jeune fille s’endort dans un fauteuil après son premier bal, une rose à la main, et rêve. . La Rose, devenue jeune homme, la fait danser, part, et elle s’éveille. Sur le plateau, c’est un violoncelle, rejoint par des cordes, qui accompagne son endormissement et qui, en solo après le paroxysme de la danse, son doux réveil. (*)

Dans le Sacre du printemps, Stravinsky a rendu fous furieux ses adversaires qui ont troublé la Première, par ses rythmes sauvages, ses dissonances, ses ruptures, ses changements de tempo et arrêts soudains. Ce qui leur semblait être du terrorisme musical était simplement sa volonté novatrice d’abandonner les conventions mélodiques et d’harmonie auxquels les mélomanes paresseux s’étaient depuis si longtemps habitués.

Même la composition de l’orchestre a reflété les intentions différentes des trois compositeurs (ou de Berlioz) : la soirée a commencé avec environ quatre-vingts instrumentistes sur scène pour Debussy ; ils ont été rejoints par une dizaine d’autres pour Weber ; pour Stravinsky ils étaient une centaine. Sous les projecteurs : dans une salle d’Opéra chacun aurait été dans la pénombre et seuls les pupitres auraient été éclairés.

L’incident

La fin du Spectre de la Rose a été interrompue par des applaudissements prématurés. La danse qui est au cœur de la composition, entre l’introduction et le coda, se termine dans une valse retentissante. Quand elle a pris fin une partie du public, comme parune réaction physique, a commencé à applaudir. Sans se retourner, François-Xavier Roth a levé la main gauche pour arrêter les applaudissements, mais sans effet. Enfin, ceux qui applaudissaient se sont rendu compte que quelque chose n’allait pas, et les uns après les autres ils se sont arrêtés. Trop lentement quand même, et le violoncelliste a commencé courageusement les dernières mesures, alors que le silence n’était pas entièrement rétabli. L’œuvre terminée, le chef, encore sans se retourner, a fait un geste, cette fois pour autoriser et encourager le public à montrer son enthousiasme.

L’incident a des échos dans l’histoire de ce ballet. Ceux qui l’ont vu savent que quand le danseur sort, au moment culminant de la valse, le public peut rarement s’empêcher de saluer l’exploit acrobatique. Mais l’histoire raconte que chaque fois que le ballet était dansé par ses créateurs, Tamara Karsavina et Vaslav Nijinski, la puissance du jeu dramatique de la ballerine était telle que, quand son partenaire la quittait en semblant flotter à travers la fenêtre ouverte, le public retenait ses applaudissements pour ne pas rater le réveil de la Jeune Fille émerveillée par ce qu’elle avait vu en rêve.

(*) Chaque œuvre est détaillée avec érudition et finesse dans la feuille qui a accompagné le programme en papier, par la Classe d’analyse du Conservatoire du Soissonnais.

Continuer la lecture

Danse

La Passion selon Piazzolla

Publié

le

L'art du tango

[Photo Axonance]

Le compositeur argentin Astor Piazzolla, déjà célèbre pour son œuvre inspiré par les rythmes du tango, passe à un autre niveau de renommée en devenant le sujet d’une composition d’un autre compositeur, argentin aussi. Martin Palmeri a écrit la Pasíon segun Astor qui sera chanté et joué au concert donné par l’ensemble choral Axonance à la Cité de la Musique de Soissons le 27 mai. Avec le compositeur au piano, Axonance et son directeur Stéphane Candat seront accompagnés par le quintette à cordes’ensemble de chambre Ad Libitum, le bandonéoniste Jeremy Vannereau, et même deux danseurs du tango. Il y aura des pièces et chants solos du compositeur, dont Libertango et Adios Nonino, adieu déchirant à son père.

Stéphane Cantat, fondateur et directeur d’Axonance [Photo Axonance]

Axonance a été créé en 2017 pour pallier à la disparition du Studio choral de l’Aisne, privée de sa subvention départementale. Il a commencé à se faire une réputation par ses récitals et concerts, dont celui du Nouvel An dans le cellier nouvellement aménagé de l’abbaye Saint-Jean-des-Vignes. Il vise à donner trois ou quatre concerts par an – financés, il faut dire, par les recettes et les cotisations des membres.

Même dans les chorales où les membres chantent surtout pour le plaisir, ils s’impliquent beaucoup. Axonance visant une qualité quasi-professionnelle, avec des choristes déjà de bon niveau, l’engagement doit être soutenu et fort. Chaque choriste vise à travailler la pratique chorale dans un environnement vocal réduit, pour assurer une homogénéité et un son adapté à chaque esthétique musicale. Ils se retrouvent deux demi-journées par mois et le répertoire s’étend des débuts du Baroque au XXIe siècle. L’ensemble se dirige vers des programmes chambristes, à capella ou accompagné de l’orgue ou du piano. Le concert Piazzolla est donc exceptionnel.

Axonance recrute des chanteurs venus de chœurs de la Marne, de l’Aisne et de l’Oise, mais il est soissonnais, créé dans la ville quelques heures après la destruction de la Rose de la cathédrale par la tempête Egon – et il a chanté lors de l’inauguration du nouveau vitrail en 2022.

La musique de Piazzolla et son bandonéon ont pris leur place parmi le plus grands dans les salles de concert, mettant les sens en émoi, communiquant ses rythmes langoureux  aux mêmes publics que Mozart et Beethoven. Destin prestigieux pour le tango, né dans les bordels de Buenos Aires, et dont le rythme subvertit la bienséance en y glissant une sensualité entêtante.


La Pasíon segun Astor, 27 mai à 20h à la CMD ; 28 mai à 16h, église Saint-Maurice, Reims.

Continuer la lecture

Danse

La danse calligraphique

Publié

le

L'art de la danse

Au mois de mars la compagnie de danse chinoise XieXin Dance Theatre a fait une courte tournée en France, avant de la poursuivre en Allemagne. Le théâtre du Mail a été choisi pour la pièce From IN – le titre, en anglais, suggère la notion d’émergence de l’intérieur.

C’était une occasion rare de voir la danse chinoise contemporaine, et le travail de Xie Xin, chorégraphe incontournable de son pays et à l’international. Après des débuts de danseuse classique, elle a fondé sa propre compagnie à Shanghai en 2014. En septembre elle produira une pièce pour les danseurs de l’Opéra de Paris, c’est confirmer son importance.

Xie Xin a expliqué son approche sur les média, et les origines de From IN. Elle prend comme inspiration la calligraphie chinoise, et en particulier l’idéogramme    qui signifie « humain ». Il est composé de deux traits qui se rejoignent. Elle y voit le point de contact, de connexion avec les autres, de relations. Un commentateur a écrit que « ses danseurs apparaissent et disparaissent dans une unité énigmatique et élégante, entre tradition et modernité ».

Admettons tout de suite que les spectateurs occidentaux qui ne sont pas au fait de l’écriture chinoise trouveront d’autres raisons d’apprécier From IN.

Scène nue, structurée seulement par les lumières ; costumes amples et souples qui adoucissent les mouvements sans les obscurcir : tout met en valeur la créativité de Xie Xin.

La chorégraphie est particulièrement énergique, exigeant une grande résistance de la part des neuf danseurs. Les mouvements sont rotatoires au niveau de la taille, le torse presque à l’horizontale. Le spectateur moyen peut-il voir dans les mouvements d’ensemble les traits et schémas d’idéogrammes ? Ou perçoit-il plutôt la mise en pas de danse de formes abstraites ?

Xie Xin, présente à Soissons, rejoint ses cinq danseurs et quatre danseuses sur scène.

A la différence du ballet classique, qui vise l’aérien, l’élévation, le détachement du sol, From In ancre les danseurs au sol, dont ils ne se décollent que pour y revenir aussitôt.

Certains mouvements pourraient venir du hip-hop ; mais ils sont intégrés dans l’ensemble, dépourvus d’esbroufe. Personne ne cherche à dépasser les autres, ni à époustoufler le public.

La lecture de From IN par des spectateurs non-initiés à la calligraphie chinoise laisse peut-être passer des aspects perceptibles pour un public chinois. Mais en les ignorant, les spectateurs au Mail ont pu être ouverts aux abstractions qui les sous-tendent.

Continuer la lecture
P U B L I C I T É

Inscription newsletter

Catégories

Facebook

Top du Vase

LE VASE sur votre mobile ?

Installer
×