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Musique

Un grand voyage avec Beethoven

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L'art de la musique de chambre

Renaud Capuçon au violon, Kit Armstrong au piano, à la CMD de Soissons

Après avoir joué les dix sonates de Beethoven pour violon et piano, au cours de trois récitals en vingt-quatre heures dans deux villes différentes, Renaud Capuçon le violoniste, à côté de Kit Armstrong le pianiste, a remercié le public d’avoir assisté à « un grand voyage ».

Ce voyage a commencé en avril 2017 dans une voiture entre Hirson et Soissons. Après le succès d’un concert Mozart des deux musiciens à Hirson, Jean-Michel Verneiges ramenait Renaud Capuçon à Soissons ou il prendrait le train pour Paris. « Je lui au demandé s’il ne voulait pas faire l’intégrale des sonates de Beethoven avec Kit. Ils s’entendaient si bien. » Renaud Capuçon a sauté sur la proposition, et Jean-Michel Verneiges, directeur de l’Association pour le Développement des Activités Musicales dans l’Aisne (ADAMA) et qui assure aussi la direction artistique du Festival de Laon, s’est engagé aussitôt à inclure le projet dans le programme de l’édition 2018.

Le résultat est une coproduction du Festival avec la Cité de la Musique et de la Danse de Soissons. Cela explique le partage entre les deux sites, en évitant en même temps le risque de ne pas remplir trois salles uniquement à Laon ou à Soissons. Un autre avantage du partenariat a été de faciliter le montage budgétaire.

Les dix œuvres n’ont pas été jouées dans leur ordre chronologique. Qui l’a décidé ? « Ils ont fait cela entre eux » explique Jean-Michel Verneiges « mais j’avais demandé aux artistes de privilégier une solution différente de la chronologie de 1 à 10, dans le souci de la diversité et de l’attractivité de chacun des trois programmes, et en pensant à la partie du public qui n’assisterait qu’à un seul concert. Le cahier des charges étant alors que chaque programme comprenne au moins l’une des plus grandes de ces œuvres, c’est-à-dire les nos 5, 7, 9 ou 10. »

Les deux musiciens ont établi les trois programmes en fonction de ces paramètres : les 1, 6, 2 et 7 le samedi soir à Laon, les 4, 8 et 9 (Kreutzer) à Soissons à 15h et les 3, 5 (Le Printemps) et 10e à 17h. Seul reste d’ordre chronologique : la série a commencé par la 1ère sonate et s’est terminée par la 10e.

Le résultat a été trois programmes équilibrés, entre le compositeur assez rangé des premières sonates et le Beethoven qui poursuit son inspiration sans observer les formes – un peu comme Jean-Luc Godard et ses « coupes sèches » abolissant les plans de transition. Les quatre « plus grandes » sonates le sont par l’intensité immédiate avec laquelle elles traitent leur sujet, les émotions soulevées, les modes d’expression. La 7, en clôture du concert de samedi, a offert un soudain déferlement d’énergie reflétant, selon les notes du programme, « le conflit héroïque entre une infirmité de jeunesse – la surdité – et l’enthousiasme de la jeunesse qui s’y affronte ». Les deux concerts de dimanche se sont terminés aussi dans l’intensité, le premier avec la sonate Kreutzer où le piano et le violon s’affrontent, le second avec la 10, composée neuf ans après les autres et y revenant dans une certaine tranquillité.

Kit Armstrong et Renaud Capuçon dans l’église Saint-Martin de Laon

Les lieux concernés ne pouvaient guère être plus différents : la vaste église Saint-Martin de Laon qui ajoute sa volupté architecturale à celle de la musique, mais satisfait moyennement les exigences de confort et d’acoustique d’un concert ; et l’auditorium de la CMD de Soissons avec son luxe acoustique, son calme, sa palette de tons crèmes.(*)

Les origines, la mise au point, les lieux ; il reste le jeu des musiciens. La musique de chambre demande une entente entre les instrumentistes, la capacité de chacun à sentir l’autre, à donner et à recevoir. Avec Renaud Capuçon et Kit Armstrong, nous avons assisté à une longue conversation sur un tas de sujets, des drames, la sérénité, l’angoisse, la résignation, l’espoir, la désespérance, l’intériorité, même l’humour (au début de la sonate 3 la conversation est devenue espiègle). Une conversation dont l’estime mutuelle et l’amitié sont des ingrédients essentiels.

Le grand voyage aura permis aux voyageurs de vivre une aventure musicale transformatrice, pour ceux qui écoutaient comme pour ceux qui jouaient.

(*)  Ces deux concerts ont marqué avec éclat la rentrée de la CMD.


DM ajoute :

Un jour de juin – l’été, mais à peine, presque encore le printemps – je m’arrêtais à Londres comme d’habitude entre Paris et l’Irlande. A midi, dans la grande artère du Strand, je passais devant le Haut Commissariat australien, l’équivalent d’une ambassade pour les pays du Commonwealth. Une affiche annonçait un programme d’événements pour célébrer le bicentenaire de l’arrivée sur le continent australien du capitaine James Cook, qui avait déclaré le territoire propriété de la couronne britannique. Dans le vestibule au sol de marbre un pianiste et un violoniste donnaient un récital. Ils ont commencé par Le printemps de Beethoven. Ainsi cette musique, associée à la grande ville ensoleillée, à la lointaine histoire d’un pays de l’autre côté du monde, et au fait d’être jeune et en voyage, ne pouvait que rester un souvenir lumineux.

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Histoire

Isaac l’autre Strauss

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L'art d'une musicologue

Isaac Strauss est né à Strasbourg en 1808, 18 ans après la levée de l’interdiction de 1389 aux juifs d’y résider. Fils de barbier, il a débarqué à Paris « avec un violon mais les poches vides » et a fait fortune en tant que compositeur de musique de divertissement, chef d’orchestre, jusqu’à devenir directeur des bals de la cour de Napoléon III et de grandes fêtes officielles.

Laure Schnapper, qui séjourne à Dommiers puis à Saint-Pierre-Aigle depuis 30 ans, est musicologue, universitaire, présidente de l’Institut Européen des Musiques Juives, musicienne. Dans sa biographie de l’arrière-grand-père de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, elle retrace les étapes sa vie.

A ne pas confondre avec la dynastie Strauss de Vienne, Isaac est tombé dans l’oubli après sa mort en 1888, reconnu seulement pour sa vaste collection de judaïcas, objets du culte et de la vie quotidienne des juifs de France. Cela peut s’expliquer par le peu de respect pour sa musique festive« fonctionnelle et répétitive », avec ses valses, polkas et quadrilles. D’où l’absence de partitions, ou seulement en transcription pour piano, « pâle reflet d’une musique de bal qui se voulait particulièrement flamboyante et festive ».

Laure Schnapper vise la « biographie sociale », situant Strauss le compositeur dans son époque, celle de l’essor de la musique, de l’intégration des juifs et leur participation à l’émergence de la société moderne.

Quel est l’attrait de ce livre pour les non-spécialistes ? D’abord, comme dans un roman, apprendre l’histoire d’Isaac et de son émancipation exemplaire ; ensuite, pour pénétrer dans le monde oublié de la musique de divertissement et de ses effets sociaux. L’approche est érudite, avec tout un appareil de références, renvois, index (« J’ai mis cinq ans » admet l’auteur), mais l’écriture est claire et élégante, et le texte est illustré de multiples gravures de presse, fragments de partitions et même dessins humoristiques d’époque.

Un livre pour les spécialistes mais aussi pour un lecteur prêt à redécouvrir une société pleine d’élan et de vigueur, disparue dans la confusion du passé mais que l’auteur fait émerger avec conviction et éloquence.

Musique et musiciens de bal : Isaac Strauss au service de Napoléon III. Editions Hermann, Paris 2023.

[Cet article paraît dans le Vase Communicant, édition Villers-Cotterêts/La Ferté-Milon n°19]

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Le Vase des Arts

La musique Romantique poursuit son chemin à la Cité : Mendelssohn et Grieg

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L'art de la musique Romantique

La dominante Romantique de la saison musicale 2023-24 à la Cité de la Musique de Soissons, illustrée par le concert de l’Orchestre Nationale de Lille en septembre, avec Grieg et Tchaïkovski, est confirmé par celui de l’Orchestre de Chambre de Nouvelle Aquitaine, avec Mendelssohn et, encore, Grieg.

La soliste Manon Galy et le chef d’orchestre Mark Coppey

Comme pour marquer quand même une parenthèse entre les deux programmes Romantiques, et rappeler que les silences peuvent, non pas interrompre la musique mais créer des respirations dans l’écoute, le concert a commencé par Words, une très courte œuvre de la compositrice allemande contemporaine Isabel Mundry.

Ensuite, la très jeune violoniste Manon Galy, lauréate aux Victoires de la musique 2022, a remplacé Alexandra Soumm comme soliste dans trois concerts avec ce même programme, sous la direction de Mark Coppey.

Il s’agit d’un des défis auquel doit faire face tout violoniste. Le concerto de Mendelssohn met à l’épreuve sa virtuosité et sa sensibilité.

Ce qui s’est passé a été une sorte d’histoire… romantique. Manon Galy est arrivée sur scène, étincelante en lamé argent, l’air fragile, le visage fermé. Après les quelques notes qui précédent l’entrée du violon au début – une nouveauté par rapport au schéma Classique, qui veut que l’orchestre joue une introduction, comme une mini-ouverture, elle a attaqué. La cadence vers la fin du premier mouvement a été brillante, le basson et la flûte ont fait le pont et elle s’est lancée dans le mouvement lent, exaltant, contemplatif et parfois déchirant. Son visage a changé, elle s’est détendue, et avec le troisième mouvement furieusement énergétique, elle a confirmé sa maîtrise. Une réussite, et elle le savait car elle était souriante en saluant la salle et l’orchestre.

En bis, elle a osé affronter la Méditation de Thaïs de Massenet, piège pour tout musicien susceptible d’être tenté de faire pâmer la salle. Manon Galy est restée ferme, évitant toute sentimentalité, tout…romantisme, et a ému. Encore une Victoire, que le public a semblé reconnaître par son accueil.

Avant le concert la harpiste Iris Torossian prépare son instrument, noir comme sa robe.

Ce grand moment passé, les auditeurs ont pu se laisser divertir et charmer par les deux suites Peer Gynt de Grieg. Les trois « tubes » font toujours plaisir, à écouter et, dans une salle de concert, à voir, et les cinq autres pièces, moins familières, se laissent davantage connaître.

Ce double événement, et les autres concerts programmés pour la saison, proposent un long regard vers l’ère Romantique, dont les compositeurs, laissant leur inspiration, les mouvements de leurs émotions, générer les formes de leur art, bousculaient les structures plus ou moins strictes de composition des époques Baroque et Classique.(*)

(*) Admettons que les amateurs du Baroque et du Classique défendent ces structures (comme ceux qui, en poésie, préfèrent le sonnet et l’alexandrin au vers libres) en pensant qu’au lieu d’entraver la créativité elles l’éperonnent, posent un défi fécondateur au compositeur (comme au poète).

Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

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Le Vase des Arts

Concerto et symphonie d’amis : Grieg et Tchaïkovski

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L'art de la musique Romantique

Alice Sara Ott au piano, Alexandre Bloch à la baguette, attentif l'un à l'autre

Les programmes papier de la Cité de la Musique accordent une place prépondérante à la carrière des solistes et du chef. Les œuvres font de temps de temps l’objet des excellents « guides d’écoute » rédigés par la Classe d’Analyse de Christine Paquelet au Conservatoire. Mais parfois ils contiennent une petite mise en contexte des œuvres, toujours brève, profonde, instructive – et anonyme. Pour le concert de l’Orchestre National de Lille à la Cité de la Musique, la feuille distribuée à l’entrée, à côté des noms des musiciens d’orchestre, ce qui est rare, commentent les deux œuvres à jouer, le Concerto pour piano de Grieg et la 5e Symphonie de Tchaïkovski.

Les spectateurs y apprennent que les deux compositeurs se connaissaient et s’appréciaient. Cela éveille l’oreille à une communauté d’approche entre les deux – un exercice enrichissant quand il s’agit de « tubes » classiques, si souvent entendus qu’ils risquent de devenir une musique de fond.

Soliste et chef devant le public

Ainsi, les deux œuvres ont un côté spectaculaire, en faisant pleinement appel aux capacités des musiciens. Pour le concerto, cela inclut l’exploit technique de la soliste, Alice Sara Ott, jeune et presque frêle devant son clavier. Il s’agit de l’aspect visuel d’un concert, de la possibilité pour les auditeurs de « voir » la structure d’une œuvre, à travers les gestes des musiciens, et d’apprécier leurs capacité physique à mettre en sons l’inspiration du compositeur. Le début du concerto est comme toujours extraordinaire, les percussions précédant l’entrée fracassante du piano seul.

La 5e de Tchaïkovski s’engage dans le lent passage de l’inquiétude du début, du doute, vers leur résolution finale dans la certitude.

Par ailleurs, Grieg et Tchaïkovski partagent la capacité, au milieu de passages d’intensité prodigieuse, d’inclure des thèmes capables d’inspirer chez les auditeurs un sentiment si profond que la joie et la tristesse ne s’y distinguent plus.

Après le concerto, et avant la symphonie, Alice Sara Ott a pris la parole pour présenter son « bis ». Elle a parlé du nouveau piano de la Cité, en admettant qu’il lui fallait le temps de s’y habituer, et proposant, après Grieg, « quelque chose de plus intime » : Pour Alina d’Arvo Pärt, œuvre clef de ce compositeur estonien sur son chemin du minimalisme. L’effet dans la salle a été de marquer un interlude dans une soirée de vastes mouvements et de grandes émotions et parfois, dans le cas de Tchaïkovski, admettons-le, d’emphases théâtrales. Le morceau prend quelques minutes, mais il peut durer jusqu’à dix, selon l’interprète : Alice Sara Ott a choisi la brièveté, d’autant plus éloquente dans un océan de Romantisme.


La musique de l’époque Romantique a les faveurs de la Cité de la Musique cette saison, parfois de façon rapprochée : le concert de l’Orchestre National de Lille, avec Grieg et Tchaïkovski, est suivi quinze jours après par un autre, consacré à Mendelssohn et, à nouveau, Grieg.

Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

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