A chacun de ses concerts l’orchestre du Cercle Musical jouit d’un accueil habituellement réservé aux équipes sportives de foot ou de rugby. La salle est toujours pleine jusqu’au dernier rang (il est tentant de mettre « gradin »), le public s’enthousiasme et fait une ovation debout à la fin.
Pour mériter cette loyauté, ses musiciens suivent un entraînement hebdomadaire. Pourtant, ce ne sont pas des professionnels : ils ne retirent de leur dévouement que le plaisir de jouer et de voir le plaisir qu’ils donnent en jouant.
Pour son concert de printemps à la Cité de la Musique les rangs du Cercle ont été plus que doublés, comme en 2023, par l’Orchestre Symphonique du Campus d’Orsay, dont les musiciens sont des étudiants de la Faculté de Sciences de l’Université de Paris-Saclay. Deux équipes, donc – mais pour jouer ensemble, non pas l’une contre l’autre.
Martin Barral, professeur de violoncelle au Conservatoire de Soissons, dirige les deux orchestres. Il fait répéter le même programme des deux côtés, et ne réunit la soixantaine de musiciens que le jour du concert à Soissons.
En introduction, la chorale La Musarelle a chanté une version de la célèbre Quand les hommes vivront d’amour de Raymond Levesque dans laquelle le compositeur américain Philip Glass a remplacé la partition originale tendre par une autre, plus abrupte, plus répétitive. Sa raison : « Si moi, quelqu’un du monde de la musique de concert et d’opéra, écrivais une chanson, à quoi ressemblerait-elle ? »
Martin Barral à la direction, Philipe Blondeel au piano et les deux orhestres réunis.
Ensuite un hymne évangélique, un Prélude, premier échantillon de la musique de George Gershwin joué par Nathalie Godain, accompagnatrice de la chorale.
Cette année le Cercle Musical, connu pour son répertoire de classiques familiers, s’est tourné vers des œuvres influencées par le jazz. Un défi.
Summertime, tube des tubes de Gershwin, a réuni les choristes de La Musarelle avec les cordistes du Cercle pour cette version chorale quelque peu incongrue d’une berceuse chantée par une mère à son bébé ; par ailleurs une hauteur de voix baissée d’un ton aurait facilité les choses pour les sopranos.
Les deux orchestres symphoniques ont rempli ensemble le plateau pour faire découvrir au public la Jazz suite en mode « Big band » d’Alexander Tsfasman, compositeur d’origine ukrainienne. Philippe Blondeel, professeur au Conservatoire, était au piano. La conviction a grandi dans la salle que la double équipe allait réussir son pari : les musiciens gardaient leur air sage, mais il y avait du swing dans l’air.
La Musique funèbre maçonnique de Mozart a fait le pont entre Tsfasman et la dernière œuvre du concert, à nouveau de Gershwin (de descendance ukrainienne – l’actualité fait remarquer de tels détails).
Un Américain à Paris allait être la vraie épreuve pour le Cercle et le Campus réunis. Dans le film de Vincent Minelli du même nom cette musique accompagne une séquence dansée de Gene Kelly. Dans une salle de concert ce n’est pas un fond sonore, c’est une œuvre symphonique, et l’attention des auditeurs de la Cité se fixerait sur la musique et la façon dont elle était jouée.
L’orchestre d’Orsay et le Cercle Musical occupent le plateau.
Avec Gershwin il ne suffit pas de jouer les bonnes notes dans le bon ordre en suivant les termes musicaux indiqués par le compositeur. Il faut entrer dans le monde du balancement, de la syncope, du contretemps, et surtout avec la nonchalance américaine, vraie ou assumée.
Il y a trois parties dans Un Américain à Paris. D’abord la promenade – sur les Champs-Elysées, on peut penser – où la musique reproduit les bruits de la ville, derrière un thème évoquant l’image de l’Américain typique qui plastronne en se promenant. Puis un blues de trompette solo sur une musique pleine de nostalgie (mal du pays ?) mais qui se résout : on peut se sentir chez soi à Paris comme ailleurs. La dernière partie est une conversation qui revient sur tous les thèmes d’une journée mémorable.
C’est complexe, mais le double orchestre, sous la direction dynamique de Martine Barral, a maintenu le rythme jusqu’à la fin.
En bis, comment faire autrement que de répéter la fin de l’œuvre pour confirmer que sa réussite n’avait pas été le fruit d’un hasard ? Le Cercle soisonnais et ses alliés d’Orsay ont gagné la partie, et les spectateurs les ont longuement applaudis.
Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr