Violonistes Anne Duval et Byung Woo Ko.
A une réunion officielle, celui qui aurait « un intérêt » susceptible de biaiser son vote doit le déclarer. Un critique doit avoir autant de franchise : je suis plus sensible à la musique russe du 19e siècle qu’à la musique viennoise. Celle-ci m’est trop inexorablement joyeuse, gracieuse, brillante, faite pour que, selon le texte joliment imagé du programme du concert de l’orchestre de Lorraine à la CMD, « les crinolines tournoient autour des uniformes ». Nous danserons à trois temps et au diable les réalités de l’empire autrichien. La famille Strauss, père et deux fils, surtout Johann, ont fourni les valses et polkas qu’il faut pour se distraire. Restons au niveau du divertissement.
Cette musique est appréciée au Nouvel An, pour lancer le calendrier dans la gaité et l’insouciance, et les soixante musiciens de l’orchestre sous la direction vigoureuse de Jacques Mercier ont atteint cet objectif avec élan. La rondeur de ton, le travail d’ensemble, la sensibilité à ce qu’ils jouaient : tout y était
Seulement, le programme annonçait « De Vienne à Saint-Petersbourg », et toute la première partie était consacrée aux compositeurs russes, surtout aux valses que Strauss leur inspirait.
Nous étions loin de la frivolité autrichienne, plongés dans ce qui s’appellera, par commodité, « l’âme slave », et qui est une réceptivité aux profondeurs assombrissantes sous le quotidien, venue de l’histoire et de la géographie du pays.
Jacques Mercier dirige le public dans la salle.
Tchaïkovski, Khatchatourian, Kabalevski et Glinka ont adopté le trois-temps (ou, pour la symphonie « Pathétique » de Tchaïkovski, le cinq-temps) pour faire sentir, certes parfois avec emphase, que le charme rythmique ne fait qu’intensifier, précisément, le pathétique.
D’autre part, ceux qui sont en phase avec la musique russe ont pu constater, au lancement de la polonaise d’« Eugène Onéguine », que leur sang n’a fait qu’un tour.
Le concert s’est terminé dans la perfection avec la « Valse de l’Empereur » de Strauss. Jacques Mercier a redoublé la gaité en dirigeant le public, qui tapait des mains pour la reprise en bis du « Tritsch Tratsch » polka. Nous aurions presque oublié que la vie – et l’année qui nait – ne seront pas ensoleillées du début à la fin.
Denis Mahaffey
denis.mahaffey@levase.fr