Quand trois musiciens entrent sur la scène de la CMD, Thomas Naïm, guitare, Vincent Lafont, piano, et Brad Christopher Jones, basse/contrebasse, ils sont suivis d’une femme habillée de vêtements clairs. C’est la chanteuse de jazz sud-coréenne Youn Sun Na, en tournée pour le lancement de son dernier album, Waking World. Cet album est aussi en quelque sorte son premier, car pour la première fois il ne contient pas de reprises : toutes les onze chansons ont été composées et écrites et par Youn Sun Na elle-même – pendant le premier confinement lié au Covid.
Quand elle parle, en français, sa voix est petite et flûtée, son ton enfantin ; parfois elle rit en se couvrant le visage de ses mains. Mais quand elle chante, cette même voix devient souple, douce, calme, mélancolique, ou ferme et même stridente, selon les paroles. Elle a le registre d’une mezzo, mais peut, et c’est inhabituel pour une chanteuse de jazz, monter très, très haut ; si elle a ajouté une dernière note au dessus, seul un éventuel chien dans la salle aura détecté l’ultrason. L’effet est presque irréel.
Youn Sun Na écoute Brad Christopher Jones.
Pour ce concert elle a chanté des numéros de son album, tous en anglais, qu’elle dit manier plus naturellement pour son activité musicale. D’après les réactions de la salle, ce serait « Don’t get me wrong » qui pourrait devenir le tube de l’album.
Ses trois musiciens vont au-delà du rôle de simples accompagnateurs, et le public, dont beaucoup d’amateurs éclairés, dirait-on, a montré son appréciation de leurs solos, les applaudissements suggérant que c’est le bassiste/contrebassiste Brad Jones qui a été élu vedette. Vincent Lafont au piano s’adaptait à tout, en alternant entre le piano et un clavier – jouant parfois l’un avec une main, l’autre avec l’autre, en surveillant de près les deux mains. Il y avait une impression de liquidité, d’un écoulement sonore qui suivait et brodait sur la voix de la chanteuse.
Youn Sun Na a chanté deux standards comme des ballades. Pour le premier, elle était seule sur scène, avec un orgue de barbarie miniature qu’elle tenait dans une main, l’autre tournant la poignée. Ainsi elle s’est accompagnée pour chanter, avec un rubato subtil, en ajustant la vitesse d’avancement de la bande de la partition, Killing me softly with his song.
Youn Sun Ya a fait une exception à son anglophonie en chantant, en rappel, Avec le temps de Léo Ferré, les guitariste, bassiste et pianiste assurant un accompagnement jazz, une combinaison riche et réussie. La chanson a généré une note de regret, comme si, après une soirée stimulante, il fallait se rendre à l’évidence que « tout s’en va ».