« The King’s Singers » (*) se caracteristent par quelques dispositifs de chant reconnaissables. Ceux-ci comprennent la priorité donnée à une voix solo qu’accompagnent cinq des six chanteurs, mais en passant ce solo de l’un à l’autre, chaque voix différente. Il y a les changements de ton à l’intérieur d’une chanson populaire comme « Bobby Shaftoe » : le chant monte et descend comme un ascenseur. Ils peuvent ajouter une harmonie inattendue au milieu d’un air ancien. C’est un moyen d’éviter l’uniformité, de prendre l’auditeur au dépourvu, mais sans le dérouter.
Patrick Dunachie et Timothy Wayne-Wright, contre-ténors, Julian Gregory, ténor, Christopher Bruerton et Christopher Gabbitas, barytons, et Jonathan Howard, basse.
Plus conventionnellement ils pratiquent les harmonies rapprochées à titiller les oreilles, les voix souvent si proches qu’on pourrait à peine glisser un papier à cigarette entre elles.
Le programme mélange des chants anciens et contemporains, notamment « The seasons of his mercies », œuvre composée pour eux par Richard Rodney Bennett sur des paroles du prédicateur et poète du 17e siècle John Donne, et qui exploite à fond leurs capacités musicales, leur force et leur délicatesse. Après l’entracte ils ont proposé des extraits de comédie musicale américaine, et la bien belle chanson d’amour du poète écossais Robert Burns, « My love is like a red, red rose ». En bis ils ont proposé une chanson folklorique grecque comique, pour laquelle ils ont dû imiter le cri d’animaux de ferme et, sensibles à leur public français, « Plaisir d’amour ».
Tout comme leur chant, les déplacements sur scène sont réglés comme du papier à musique. Ils entrent en file indienne, la tablette à partitions tenue dans la même main, chacun exactement à la même distance de celui qui le précède, et en sortant de scène ils gardent la tête tournée vers la salle. Tels de bons écoliers anglais, ils portent un uniforme impeccable, pantalon sombre, veste et gilet bleus, chemise blanche, cravate rouge. Ils sont quatre à s’exprimer en français, en lisant un texte sur la tablette, et le basse Jonathan Howard parle aussi sans support.
Le spectacle est exquis. Le public a pourtant réagi certes chaleureusement, mais sans l’enthousiasme qui peut le saisir à certains concerts.
Serait-ce qu’un ingrédient manque à l’ensemble ? Jouer la musique en direct, devant le public, a quelque chose de périlleux : un soliste, un quatuor, un orchestre arriveront-ils à bon port en ayant transmis le sens de ce qu’ils jouent ? La tension se maintient et, au mieux, se relâche dans les sourires et les applaudissements.
The King’s Singers, avec leur réputation mondiale, seraient-ils arrivés à un niveau où la perfection est si systématiquement atteinte qu’il n’y a plus de risque, à confronter pour eux, à sentir par leur public ?