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Mantra de Stockhausen : entendre au lieu d’écouter

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L'art de la musique sérielle

La partition manuscrite attend le pianiste.

Sortant de la salle de la Cité de la Musique, une auditrice, souriante, rieuse même, disait « Je n’ai rien compris, mais rien ! Rien. » Elle parlait de Mantra du compositeur Karlheinz Stockhausen, que les pianistes Jean-François Heisser et Jean-Frédéric venaient de jouer.

Dr. à g. Serge Lemouton, Jean-François Heisser et Jean-Frédéric Neuburger

Certes, ils avaient d’abord expliqué et illustré les principes et le déroulement de l’œuvre, dont le titre évoque un mantra hindou, formule sacrée à répéter à l’infini. Ce serait donc une « formule » mélodique à deux voix (pour les deux pianos), contenant treize notes, les douze de la gamme chromatique plus l’initiale. Elle serait modulée selon des critères tels que toucher, volume et durée, mais ne varierait jamais. Il y aurait treize parties.

Jean-Frédéric Neuburger et son tourneur de pages

Des exposés et commentaires encore plus précis prolifèrent sur Internet. Mais est-il nécessaire pour l’auditeur de s’armer de tant d’information, alors qu’il ne le ferait probablement pas avant une symphonie de Beethoven ?

L’écoute de Mantra, qui a duré une heure vingt, a été bien déroutante, mais c’était l’intention du compositeur/des musiciens : ne présenter rien qui soit familier aux auditeurs, plutôt les encourager/obliger à s’aventurer dans un univers musical incontrôlable, à abandonner toute attente de formes habituelles et familières mélodiques, harmoniques, rythmiques, et se laisser pénétrer par ce qu’ils entendent sans “comprendre”. Il s’agit de perdre l’équilibre, rester suspendu dans un espace qu’ils n’ont jamais occupé.

La répétition, la durée, l’absence de repères mènent les auditeurs non pas à écouter mais à entendre, non pas à se concentrer mais à être pleinement disponibles.

Par ailleurs, Mantra met chaque auditeur en face de la question “Si je n’ai pas de repères, comment je sais que c’est de la musique – et alors c’est quoi, la musique ? »

Jean-François Heisser et le sien…

Le concert, soyons rassurés, était loin d’être un exercice austère et interminable. C’était autant un spectacle. Heisser et Neuburger avaient tant à faire : jouer chacun sur le clavier, mais aussi prendre la bonne baguette pour frapper les petites cymbales rangées au-dessus, et ajuster régulièrement les dispositifs électroniques. L’un de ces appareils a même provoqué un incident technique, responsable d’un arrêt et d’une consultation avec l’électronicien Serge Lemouton, venu sur le plateau pour le régler. Une pause involontaire.

Il y avait de l’humour, intentionnel peut-être. Tel motif musical a été échangé entre pianos, avec une insistance croissante, comme s’ils se narguaient. Le plus spectaculaire était vers la fin, quand les deux pianistes ont rejoué, à une vitesse folle et en quelques minutes, toute la partition qu’ils venaient d’exécuter avec tant de délibération pendant une heure.

Alors, ne rien y comprendre ? Mantra relève de la méditation, qui n’a pas à être comprise, mais qui peut ouvrir la voie vers la compréhension d’autres choses de la vie. Cela expliquerait les sourires de l’auditrice !

Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

[Modifié le 02/02/24 pour rectifier une erreur d’accord]

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