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Musique

Un essai à convertir : le festival des Siècles

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L'art de la musique festivalière

Ce qui compte dans un festival n’est pas tant ses à-côtés festifs que l’intensité de l’expérience. Passer de concert en concert aiguise l’écoute, relie les compositeurs, fait entendre des échos entre les œuvres. Les présentations, répétitions et explications autour des concerts créent une continuité qui augmente l’attention – et la tension. L’auditeur ne sort pas indemne, mais enrichi, interpellé, éveillé.

Amandine Beyer joue Mozart.

Amandine Beyer joue Mozart.

Le « Festival des Siècles » à la Cité de la Musique et de la Danse a commencé par un regard sur le moment où le baroque « bascule » (c’est le mot dans le programme) vers le « préclassique ». Au violon et à la direction d’une petite formation de l’orchestre Les Siècles, Amandine Beyer a tout de suite gagné la sympathie du public par sa simplicité, ses sourires, ses interprétations brillantes et chaleureuses, même par sa nonchalance vestimentaire : sa priorité était de faire partager les joies de la musique, avec des œuvres de CPE Bach, Mozart et trois noms moins familiers, Marcolini, Jommelli et Hasse. Il n’était pas nécessaire d’être musicologue pour entendre les balbutiements puis l’affirmation d’un nouveau style plus délié.

Le lendemain après-midi, François-Xavier Roth, chef d’orchestre des Siècles, a raconté l’histoire et décortiqué la partition de « l’Oiseau de feu », écrite par Stravinsky pour les Ballets Russes de Diaghilev (spécialité de cet orchestre). Il faisait aussi les dernières mises au point pour le concert du soir. Nous étions dans les coulisses du spectacle.

Trois harpistes pour Stravinsky.

Trois harpistes pour Stravinsky.

Passant de leurs pulls et jeans aux robes et costumes, soixante-quinze musiciens ont galvanisé la salle. La partition est construite sur de constants inattendus, explosifs ou planants. Stravinsky a quelque chose d’intellectuel dans son approche, un appel à l’intelligence autant qu’à la sensibilité des auditeurs.

Une autre partition des Ballets russes, « Daphnis et Chloë » de Ravel, a offert le plaisir de voir jouer une œuvre connue : la musique ne s’entend pas seulement, elle se voit et se comprend dans les gestes des musiciens.

12 ventistes, 1 contrebassiste, un chef pour la "Gran partita".

12 ventistes, 1 contrebassiste, 1 chef pour la “Gran partita”.

Pour François-Xavier Roth, le sens de ce festival est de « montrer toutes les facettes de l’orchestre ». Jean-Michel Verneiges, directeur de l’Adama et reconnu comme le moteur de la vie musicale de l’Aisne, a été à l’origine de l’événement. « Avec cette nouvelle structure de la CMD, j’ai pensé que Soissons pourrait avoir quelque chose comme ce qui se fait à Saint Michel en Thiérache et à Laon. C’est un essai ; en ’17, et certainement en ’18, ce festival, qui ne concernerait pas que Les Siècles, pourrait avoir lieu à la sortie de l’hiver, pour équilibrer l’année musicale. »

Auditeurs et musiciens ensemble à la fin du festival.

Auditeurs et musiciens ensemble à la fin du festival.

C’est un essai donc. L’enthousiasme et l’affluence du public laissent penser que sa conversion future sera applaudie.

Pour le dernier concert, un contrebassiste et douze ventistes, contrepoint aux cordistes majoritaires du premier concert, ont joué deux sérénades de Mozart, la 12e et la « Gran partita ». François-Xavier Roth a encouragé les applaudissements après chaque mouvement « comme au 18e siècle ». A la fin, auditeurs et musiciens se sont mêlés sur le plateau, fêtant le plaisir partagé au festival.

Terminons par les mots écrits par Peter Schaffer pour le film « Amadeus ». Le compositeur Salieri, jaloux et admiratif de Mozart, décrit l’Adagio de la « Gran partita » : « Sur le papier ça n’avait l’air de rien. Le début était simple, presque comique. Une pulsation. Basson, cor de basset comme un vieux piano à bretelles rouillé. Et ensuite, soudain, haut perché, un hautbois. Une seule note flottant comme suspendue, jusqu’à ce que la clarinette vienne la reprendre, et l’adoucir en une phrase de pur délice. Ah! Ce n’était certes pas un singe savant qui avait pu composer cela. C’était une musique exceptionnelle, empreinte d’une telle tension, d’un tel inépuisable désir, qu’il me semblait entendre la voix de Dieu. »

denis.mahaffey@levase.fr

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Histoire

Isaac l’autre Strauss

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L'art d'une musicologue

Isaac Strauss est né à Strasbourg en 1808, 18 ans après la levée de l’interdiction de 1389 aux juifs d’y résider. Fils de barbier, il a débarqué à Paris « avec un violon mais les poches vides » et a fait fortune en tant que compositeur de musique de divertissement, chef d’orchestre, jusqu’à devenir directeur des bals de la cour de Napoléon III et de grandes fêtes officielles.

Laure Schnapper, qui séjourne à Dommiers puis à Saint-Pierre-Aigle depuis 30 ans, est musicologue, universitaire, présidente de l’Institut Européen des Musiques Juives, musicienne. Dans sa biographie de l’arrière-grand-père de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, elle retrace les étapes sa vie.

A ne pas confondre avec la dynastie Strauss de Vienne, Isaac est tombé dans l’oubli après sa mort en 1888, reconnu seulement pour sa vaste collection de judaïcas, objets du culte et de la vie quotidienne des juifs de France. Cela peut s’expliquer par le peu de respect pour sa musique festive« fonctionnelle et répétitive », avec ses valses, polkas et quadrilles. D’où l’absence de partitions, ou seulement en transcription pour piano, « pâle reflet d’une musique de bal qui se voulait particulièrement flamboyante et festive ».

Laure Schnapper vise la « biographie sociale », situant Strauss le compositeur dans son époque, celle de l’essor de la musique, de l’intégration des juifs et leur participation à l’émergence de la société moderne.

Quel est l’attrait de ce livre pour les non-spécialistes ? D’abord, comme dans un roman, apprendre l’histoire d’Isaac et de son émancipation exemplaire ; ensuite, pour pénétrer dans le monde oublié de la musique de divertissement et de ses effets sociaux. L’approche est érudite, avec tout un appareil de références, renvois, index (« J’ai mis cinq ans » admet l’auteur), mais l’écriture est claire et élégante, et le texte est illustré de multiples gravures de presse, fragments de partitions et même dessins humoristiques d’époque.

Un livre pour les spécialistes mais aussi pour un lecteur prêt à redécouvrir une société pleine d’élan et de vigueur, disparue dans la confusion du passé mais que l’auteur fait émerger avec conviction et éloquence.

Musique et musiciens de bal : Isaac Strauss au service de Napoléon III. Editions Hermann, Paris 2023.

[Cet article paraît dans le Vase Communicant, édition Villers-Cotterêts/La Ferté-Milon n°19]

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Le Vase des Arts

La musique Romantique poursuit son chemin à la Cité : Mendelssohn et Grieg

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L'art de la musique Romantique

La dominante Romantique de la saison musicale 2023-24 à la Cité de la Musique de Soissons, illustrée par le concert de l’Orchestre Nationale de Lille en septembre, avec Grieg et Tchaïkovski, est confirmé par celui de l’Orchestre de Chambre de Nouvelle Aquitaine, avec Mendelssohn et, encore, Grieg.

La soliste Manon Galy et le chef d’orchestre Mark Coppey

Comme pour marquer quand même une parenthèse entre les deux programmes Romantiques, et rappeler que les silences peuvent, non pas interrompre la musique mais créer des respirations dans l’écoute, le concert a commencé par Words, une très courte œuvre de la compositrice allemande contemporaine Isabel Mundry.

Ensuite, la très jeune violoniste Manon Galy, lauréate aux Victoires de la musique 2022, a remplacé Alexandra Soumm comme soliste dans trois concerts avec ce même programme, sous la direction de Mark Coppey.

Il s’agit d’un des défis auquel doit faire face tout violoniste. Le concerto de Mendelssohn met à l’épreuve sa virtuosité et sa sensibilité.

Ce qui s’est passé a été une sorte d’histoire… romantique. Manon Galy est arrivée sur scène, étincelante en lamé argent, l’air fragile, le visage fermé. Après les quelques notes qui précédent l’entrée du violon au début – une nouveauté par rapport au schéma Classique, qui veut que l’orchestre joue une introduction, comme une mini-ouverture, elle a attaqué. La cadence vers la fin du premier mouvement a été brillante, le basson et la flûte ont fait le pont et elle s’est lancée dans le mouvement lent, exaltant, contemplatif et parfois déchirant. Son visage a changé, elle s’est détendue, et avec le troisième mouvement furieusement énergétique, elle a confirmé sa maîtrise. Une réussite, et elle le savait car elle était souriante en saluant la salle et l’orchestre.

En bis, elle a osé affronter la Méditation de Thaïs de Massenet, piège pour tout musicien susceptible d’être tenté de faire pâmer la salle. Manon Galy est restée ferme, évitant toute sentimentalité, tout…romantisme, et a ému. Encore une Victoire, que le public a semblé reconnaître par son accueil.

Avant le concert la harpiste Iris Torossian prépare son instrument, noir comme sa robe.

Ce grand moment passé, les auditeurs ont pu se laisser divertir et charmer par les deux suites Peer Gynt de Grieg. Les trois « tubes » font toujours plaisir, à écouter et, dans une salle de concert, à voir, et les cinq autres pièces, moins familières, se laissent davantage connaître.

Ce double événement, et les autres concerts programmés pour la saison, proposent un long regard vers l’ère Romantique, dont les compositeurs, laissant leur inspiration, les mouvements de leurs émotions, générer les formes de leur art, bousculaient les structures plus ou moins strictes de composition des époques Baroque et Classique.(*)

(*) Admettons que les amateurs du Baroque et du Classique défendent ces structures (comme ceux qui, en poésie, préfèrent le sonnet et l’alexandrin au vers libres) en pensant qu’au lieu d’entraver la créativité elles l’éperonnent, posent un défi fécondateur au compositeur (comme au poète).

Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

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Le Vase des Arts

Concerto et symphonie d’amis : Grieg et Tchaïkovski

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L'art de la musique Romantique

Alice Sara Ott au piano, Alexandre Bloch à la baguette, attentif l'un à l'autre

Les programmes papier de la Cité de la Musique accordent une place prépondérante à la carrière des solistes et du chef. Les œuvres font de temps de temps l’objet des excellents « guides d’écoute » rédigés par la Classe d’Analyse de Christine Paquelet au Conservatoire. Mais parfois ils contiennent une petite mise en contexte des œuvres, toujours brève, profonde, instructive – et anonyme. Pour le concert de l’Orchestre National de Lille à la Cité de la Musique, la feuille distribuée à l’entrée, à côté des noms des musiciens d’orchestre, ce qui est rare, commentent les deux œuvres à jouer, le Concerto pour piano de Grieg et la 5e Symphonie de Tchaïkovski.

Les spectateurs y apprennent que les deux compositeurs se connaissaient et s’appréciaient. Cela éveille l’oreille à une communauté d’approche entre les deux – un exercice enrichissant quand il s’agit de « tubes » classiques, si souvent entendus qu’ils risquent de devenir une musique de fond.

Soliste et chef devant le public

Ainsi, les deux œuvres ont un côté spectaculaire, en faisant pleinement appel aux capacités des musiciens. Pour le concerto, cela inclut l’exploit technique de la soliste, Alice Sara Ott, jeune et presque frêle devant son clavier. Il s’agit de l’aspect visuel d’un concert, de la possibilité pour les auditeurs de « voir » la structure d’une œuvre, à travers les gestes des musiciens, et d’apprécier leurs capacité physique à mettre en sons l’inspiration du compositeur. Le début du concerto est comme toujours extraordinaire, les percussions précédant l’entrée fracassante du piano seul.

La 5e de Tchaïkovski s’engage dans le lent passage de l’inquiétude du début, du doute, vers leur résolution finale dans la certitude.

Par ailleurs, Grieg et Tchaïkovski partagent la capacité, au milieu de passages d’intensité prodigieuse, d’inclure des thèmes capables d’inspirer chez les auditeurs un sentiment si profond que la joie et la tristesse ne s’y distinguent plus.

Après le concerto, et avant la symphonie, Alice Sara Ott a pris la parole pour présenter son « bis ». Elle a parlé du nouveau piano de la Cité, en admettant qu’il lui fallait le temps de s’y habituer, et proposant, après Grieg, « quelque chose de plus intime » : Pour Alina d’Arvo Pärt, œuvre clef de ce compositeur estonien sur son chemin du minimalisme. L’effet dans la salle a été de marquer un interlude dans une soirée de vastes mouvements et de grandes émotions et parfois, dans le cas de Tchaïkovski, admettons-le, d’emphases théâtrales. Le morceau prend quelques minutes, mais il peut durer jusqu’à dix, selon l’interprète : Alice Sara Ott a choisi la brièveté, d’autant plus éloquente dans un océan de Romantisme.


La musique de l’époque Romantique a les faveurs de la Cité de la Musique cette saison, parfois de façon rapprochée : le concert de l’Orchestre National de Lille, avec Grieg et Tchaïkovski, est suivi quinze jours après par un autre, consacré à Mendelssohn et, à nouveau, Grieg.

Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

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