Un fidèle de la Cité de la Musique pouvait hésiter avant d’acheter un billet pour les Quatre Saisons de Vivaldi joué par le Concert de la Loge (*). Hésiter ? C’est que l’œuvre est tellement connue, en fond sonore, jusqu’à servir à faire patienter au téléphone. Alors l’écouter in extenso encore une fois ? Certes, des danseurs sont annoncés, mais en quoi ça peut consister, des danses illustratrices en costumes assortis à chaque saison ? Mais enfin il prend son billet, et le soir venu sa place dans la salle.
Au programme les quatre parties de l’œuvre principale, chacune avec trois mouvements, alterneront avec quatre autres œuvres du compositeur, et le concert commencera et finira par le même mouvement d’une cinquième.
Ce qui suit est a été conçu par Julien Chauvin, violoniste et directeur de La Loge. Il a voulu un « redimensionnement » du tube de Vivaldi, en ajoutant la danse à la musique pour changer les perspectives. Quatorze instrumentistes sont rejoints par sept danseurs, quatre hommes et trois femmes, dans une chorégraphie du maître de hip-hop Mourad Merzouki (dont plusieurs ballets ont été vus à Soissons).
Danseurs mais aussi musiciens portent des vêtements de tous les jours, chemises, pantalons de différentes couleurs, comme pour une répétition. Les danseurs, le chef d’orchestre et les musiciens sont pieds nus.
La danse cumule les exploits qui caractérisent le hip-hop. Le sol est la base à partir de laquelle les danseurs surgissent. Ils font des sauts périlleux, en avant ou en arrière, tournent par terre sur le dos, les épaules, un bras ou une main, se soulèvent les uns les autres, se jettent en l’air et se rattrapent. Ils font des chutes spectaculaires et rebondissent. Il y a des solos et des mouvements d’ensemble. Ils se pavanent en vainqueurs ou se prosternent comme des vaincus.
Ils dansent non seulement devant l’orchestre, mais aussi au milieu des musiciens, se faufilant entre les instruments. Ils interpellent les musiciens et, quand des solistes sortent de l’ensemble, les entourent et les accompagnent.
Et Vivaldi, et les Quatre Saisons, dans ce tourbillon ? Réduit à un joli accompagnement pour mettre en valeur la danse ?
Loin de reléguer la partition à une place secondaire, cette « idée originale de Julien Chauvin », comme c’est marqué sur le programme, la décape et l’intensifie. La confrontation révèle sa nature profonde, confirme sa luminosité, adaptée à chacune des saisons. Les oreilles des auditeurs s’affinent en écoutant, comme si elles découvraient des aspects nouveaux. Réveillée par la danse, la musique sort de sa familiarité.
La nature joyeuse des Quatre Saisons est confirmée (seul un musicologue pourrait contredire la constatation que l’œuvre de contient pas un seul ton mineur).
Dans un spectacle de danse, la musique se fait discrète sous l’impact visuel ; ce concert confirme que cette fois la danse, si spectaculaire et envahissante qu’elle soit, est là pour mettre en valeur ce qui est entendu.
Le concert/spectacle s’est terminé dans une explosion d’allégresse physique. Rappelés par le public, musiciens et danseurs se sont croisése en file indienne en se tapant dans la main, comme deux équipes sportives reconnaissant le courage l’une de l’autre.
L’amateur hésitant du début a pu retrouver dans cette musique de Vivaldi, le « prêtre rouge » du Baroque (il était curé), une source débordante de joie de vivre et de grâce, révélée dans le redimensionnement imaginé par Julien Chauvin et mis en pratique par son orchestre et les danseurs de Merzouki.
Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr
(*) Le vrai nom de l’ensemble est « Le Concert de la Loge Olympique », par référence à un orchestre du 18e siècle lié à une loge maçonnique, l’Olympique de la Parfaite Estime. Le comité des Jeux Olympiques 2024 a exigé la disparition de cette référence. C’est fait – sauf que le mot réapparaît parfois, barré par un trait malicieux.