Douze acteurs-récitants, tous cherchant l’asile en France, se déplacent dans l’espace étroit entre le comptoir du café Au Bon Coin et deux rangées de chaises pour le public. Fixant tour à tour les spectateurs dans les yeux, ils racontent les épreuves et abus qu’ils ont subis pour atteindre l’Europe, et l’espoir qui les anime encore.
En juin 2021 quatre associations soissonnaises d’aide aux réfugiés, Yocontigo Espérance, La Cimade, Réseau Entraide Exilés et le café associatif Au Bon Coin, ont créé ensemble le collectif Exils sur Scène. L’intention était d’offrir, par le théâtre, un moyen d’expression aux demandeurs d’asile traumatisés.
La plupart des participants viennent des centres Coallia de Soissons et sa banlieue. La sélection a dû se faire par la langue : il fallait pouvoir s’exprimer en français, et tous sont originaires de l’Afrique de l’Ouest francophone.
Le metteur en scène Fernand Mendez a lancé une série d’ateliers hebdomadaires avec Sylvie Heyvaerts.
Pour lui « tout le monde peut jouer » – jouer étant « la capacité à transposer ses émotions ».
Fernand Mendez, metteur en scène de Choeur d’exil
Les ateliers ayant permis d’ouvrir les futurs acteurs aux possibilités du théâtre pour trouver une voix, il était temps d’enregistrer les histoires personnelles. Cela s’est avéré ardu et confus. Sylvie Heyvaerts a adopté une approche rassurante. « Nous avons mis en scène un dispositif avec trois personnages, l’interviewé qui racontait son histoire dans sa langue, le « journaliste » qui lui posait les questions en français, et un traducteur. » Elle a tiré de ce qu’elle a entendu un grand nombre de « saynètes » à plusieurs personnages. Mais il a fallu se rendre à l’évidence que l’instabilité de la situation des acteurs rendait cette démarche irréaliste, et elles ont été remplacées par des monologues, avec l’adoption d’une forme chorale. Le titre est devenu Chœur d’exil. Des textes ont été rapportés d’ailleurs, les acteurs ont parfois échangé les récits, ou ont proposé d’autres, et quelques chants. Il a fallu garder une grande souplesse pour parer aux changements, aux départs.
A un moment tout le projet a été remis en question. Au fur et à mesure du travail, les animateurs ont été atterrés par la violence et les horreurs transparaissant dans les récits. Ne fallait-il pas s’arrêter, pour épargner les participants, et eux-mêmes ? Fernand Mendez a agi : « J’ai proposé de demander aux acteurs. Ils ont dit « Mais non ! C’est une libération pour nous, une thérapie. Une restauration. » Alors si pour eux ça va… » La recherches de récits, matière première du spectacle, a continué, collectivement, et avec une solidarité nouvelle. Fernand et Sylvie ont eu confiance en le pouvoir du théâtre pour porter les futurs acteurs.
Assis à un mètre des acteurs habillés en noir et blanc, comme pour rappeler la dualité de ce qu’il voyait, un spectateur pouvait être secoué. Esclavage. Viol. Torture. Enlèvement. Emprisonnement. Vol. C’était du théâtre, mais vertigineusement proche en temps et en distance des lieux réels de souffrance. Seule la transparence de chaque acteur rendait les paroles tolérables.
Un mot n’a guère été dit dans le spectacle, mais il flottait dans l’air comme une souffrance sans fin. C’est « exil », comme si les réfugiés lui tournaient le dos pour éviter une si grande peine. Une réplique l’évoque de façon éloquente. L’acteur parle de son départ du pays pour chercher un accueil ailleurs. Convaincu qu’il ne reverrait jamais les siens, il dit « En partant je n’ai pas dit Au revoir. »
Chœur d’exil a été joué trois fois au Bon Coin. Exil en scène cherche d’autres occasions. Pour l’accueillir, contacter Sylvie Heyvaerts au 06 18 44 64 27 Site : www.choeurdexil.co
[Cet article paraît dans Le Vase Communicant n°378.]