C’est le début de l’après-midi à l’école Saint-Waast. Dans ses salles de classe autour de la cour ensoleillée, un ronronnement scolaire. C’est sérieux, rangé, c’est l’éducation. L’éducation nationale, comme dans toutes les écoles de France.
La porte d’une classe s’ouvre, et deux personnes entrent sans s’annoncer, toutes les deux en longues robes colorées, à motifs rouges pour l’une, bleus pour l’autre. Sur la tête une coiffe d’inspiration pré-colombienne assortie à chaque robe, l’une bleue martin-pêcheur, l’autre rouge fournaise.
C’est une « Brigade d’Intervention Poétique », inspirée par le programme national le Printemps des Poètes. Ses membres sont deux comédiennes de la compagnie de l’Arcade, Virginie Deville la bleue martin-pêcheur, Anne de Rocquigny la rouge fournaise.
Elles avancent jusqu’au tableau et s’adressent aux élèves, qui sourient ou restent impassibles devant cette apparition. Les adultes comprennent qu’elles récitent des poèmes, les enfants seulement qu’elles disent des choses bizarres, belles et inattendues. L’ambiance de la classe est transformée, ses rythmes quotidiens rompus. L’invitation est claire : se laisser envahir par ce qui est dit, ne pas essayer de comprendre comme si c’était une cous de grammaire.
La poésie vous invite à saisir, non pas des faits à mémoriser ou à comprendre, mais des aperçus de sensations, de sentiments, de visions, de ce qui bouscule l’ordre (même l’ordre des mots).
Le thème du programme cette année est « la Grâce ». Anne et Virginie ont choisi elles-mêmes les poèmes qui traitent, non pas de la grâce physique, mais de celle qui crée, sans chercher une justification, la bonté, le bonheur et la beauté dans le monde.
Alors comment répondre à ces bienfaits autrement que par un remerciement profond ? Le premier poème, du poète Patrick Dubos, dit sans recours à une voix « poétique », donne le ton :
Merci aux étoiles filantes
qui ont tant à dire qu’elles ne s’attardent pas.
Merci au clocher de l’église
qui organise au fil de la nuit
la rotation de la voûte céleste
autour de l’axe qu’il forme
avec l’étoile polaire.
Les élèves écoutent, à moitié amusés, à moitié fascinés par ces deux brigadières (précolombiennes !) irréelles mais disponibles qui les abordent, leur parlent, leur demandent à participer en tenant un bout d’une guirlande, ou à lire à haute voix le mot sur une des cartes qui sont distribuées, puis venir la coller au tableau.
Ils rient de voir Virginie qui, en citant Leonard Cohen, s’étendre sur une table devant un élève :
Eh bien, je suis inquiet quand je me lève le matin. Mon inquiétude est de savoir si je suis en état de grâce. Et si je m’aperçois que je ne suis pas en état de grâce, je préfère regagner mon lit.
En intervenant, Virginie et Anne dérèglent l’ordre tant recherché – et nécessaire – pour l’enseignement scolaire, en donnant, à travers les poètes, une leçon de sensibilité à ce qui les entoure. Elles chargent chaque moment, aiguisant le regard et invitant les enfants à percevoir le détail minuscule qui se cache derrière les bruits du quotidien, comme l’exprime Samantha Barendson :
Je suis dans ma tête
dans ma tête
Pleine
de bruits
de mouvements
d’idées
Dans ma tête dans ma tête
en conversation avec moi-même jamais seule
jamais vraiment là
Jusqu’au jour où
assise au bord de l’herbe
un coquelicot
(Silence)
fragile
calme apaisant
(Silence)
le silence, enfin
La poésie se termine, la Brigade quitte la salle comme elle était venue. Ces incursions dans les classes se font en deux fois sur deux jours, et les comédiennes ont travaillé longuement à les structurer. Elles interviennent dans les écoles de Soissons chaque année à l’invitation de la Ville. Cette fois elles ont visité 40 classes, ce qui implique 80 passages pour illuminer le quotidien.
Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr