“Soissons dans deux semaines.. Two weeks !”
Pour évaluer un humoriste tel qu’Arnaud Ducret, un critère purement subjectif mais utile consiste à mesurer le temps passé, en rentrant seul du Mail, à raconter à la maison un « best of » du spectacle. Plus cela reste verbal (« Puis il a dit.. ») et moins cela comptera. L’envie de joindre le geste à la parole augmente le score.
Selon ce critère, le seul-en-scène d’Arnaud Ducret a marqué des points. Il fallait reproduire tant bien que mal son coach de danse, qui a surgi au début du spectacle, interpellant ses danseurs supposés être dans le public. Insatisfait, exigeant, hystérique, extravagant, hurlant, explosif, le tout avec des intonations de diva. « Nous devons danser à Soissons dans deux semaines ! » s’crie-t-il, puis lève deux doigts comminatoires : « Two weeks !! »
Le « best of » a continué avec un maître de karaté, à la virilité aussi crue qu’elle était cuite chez le coach, et qui exhibe ses prouesses martiales approximatives sur le malheureux petit Ducret.
Il fallait absolument rejouer le grand moment ou, complètement bourré, il se fait éjecter d’une boîte par le videur Rachid ? Il se retourne belliqueux, se tient debout mais les jambes flageolantes. Il lève son poing, souligne le geste avec l’index de l’autre main. Rachid peut trembler. Cela finira mal, mais pas pour Rachid.
Arnaud Ducret est grand et large, costaud et baraqué : « A douze ans je faisais dix-huit. » Mais loin d’être lourd, il est agile, souple, et sa folle énergie ne faillit pas du début à la fin. Il se tortille, danse, saute et se jette par terre.
Son débit de paroles est aussi torrentiel et décousu que ses mouvements. Il se répète, rajuste ses phrases et rassure : « Non mais c’est vrai ! »
Comment le placer par rapport à d’autres comiques ? Arnaud Ducret est aussi débridé physiquement que Mathieu Madenian, mais ses textes dépassent les gros mots et provocations de celui-là. C’est un fin observateur – et détourneur de ses observations.
Il remplit la salle comme Kev Adams, et suscite un enthousiasme aussi bruyant – mais moins perçant, car la plupart de ses spectateurs ont laissé la petite adolescence des fans de Kev derrière eux.
A la différence du cynique Gaspard Proust (qui dit « pfff ! » à tout), Arnaud Ducret joue l’émotif sympathique. Ceux qui regardent « Parents mode d’emploi » sur France 2 connaissent le grand gamin sensible, au visage confiant mais dont la lèvre supérieure, sous la pression d’une émotion, bat en retraite comme celle d’un bébé.
Il développe ses personnages, sans mitrailler le public de blagues comme Anne Roumanoff.
Comme d’autres, telle que Florence Foresti (pas encore passée au Mail), Arnaud Ducret pratique le sourire, le rire – ou, pour lui, le fou rire – pour encadrer ce qu’il joue. « Je ne suis pas Arnaud le saoulard, voyez comme il me fait rire aussi, comme vous. » La salle devient complice du jeu, se sent dans le secret. Les rires d’Arnaud ne sont pas si fous que cela.
denis.mahaffey@levase.fr