L’animateur (Vincent Dussart) brandit un dernier modèle.
« Il reste quatre minutes, pas une seconde de plus, pour vous rendre au rayon où vous pouvez vous procurer ce magnifique égouttoir à asperges ! Deux clientes, cabas à roulettes à la remorque, se précipitent comme des pantins désarticulés dans les étroits passages entre les pupitres. L’animateur les attend au tableau noir, le sourire factice, les bras étendus. Leur joie est immense mais de courte durée ; elles repartent vers la prochaine affaire à ne pas rater.
Devant « SOLDES » sur une grande banderole, les comédiens Vincent Dussart, Anne de Rocquigny et Virginie Deville enchaînent des moments de pâmoison ou d’angoisse devant les pressions exercées sur les acheteurs. Lavage de cerveaux par la publicité : « Nous ne répondons pas à la demande, nous la créons. »
L’intervention théâtrale a lieu dans une classe de Quatrième au collège Lamartine. Elle sera répétée au collège Gérard-Philipe et aux lycées St-Vincent de Paul, Le Corbusier et Nerval.
« Consommer c’est exister ? » est une action pédagogique de la compagnie de l’Arcade, en résidence au théâtre du Mail.
Une acheteuse (Anne de Rocquigny) croit faire une affaire.
Un débat s’engage dans la classe. Les articles de marque portés par les élèves sont décomptés. « Si je n’ai pas les codes, je ne serai pas accepté » admet l’un. « Mais c’est la personnalité qui compte » déclare un autre élève. « Au fond il s’agit de s’aimer » conclut Vincent Dussart.
Une action ponctuelle ? Non, elle est en cohérence avec le long questionnement par l’Arcade du besoin maladif de remplir un vide intérieur en accaparant une personne ou un objet. Combien dépendons-nous de « l’autre » pour avoir l’illusion d’exister pleinement ? Le spectacle « La revue tragique » de 2010, monté par la même compagnie, montrait la violence que génère chez les héroïnes de la tragédie grecque le rejet par le bien-aimé. C’est le manque, le trou, qui pousse quelqu’un vers sa destruction en tant que personne.
« Consommer c’est exister » se focalise sur ce même phénomène, mais au niveau du malaise adolescent, qu’on croit calmer en adoptant les codes vestimentaires en vogue. Le mal de l’hypercommercialisation est d’enfoncer ce message par des campagnes de publicité orientées.
Elle (Virginie Deville) se rend compte que la satisfaction est de courte durée.
Après cette première étape du projet, toutes les classes concernées ont vu « L’avaleur » au Mail, histoire d’une lutte régie par des considérations financières à l’exclusion de toute considération humaine. On peut y voir d’ailleurs un lien avec l’autre préoccupation à long terme de l’Arcade : l’usure du travail qui détruit au lieu de valoriser ceux qui le font. « Pulvérisés », à créer par l’Arcade en novembre, étudiera l’inhumanité des conditions de travail à travers le monde.
Pour la troisième étape, l’animateur revient dans les classes et aide les élèves à bâtir des « tableaux vivants » pour illustrer « Consommer c’est exister ? ». Photographiés pour en garder une trace, ils utilisent les corps pour étudier la façon dont l’image du corps est exploitée pour piéger les consommateurs.
[Une version plus courte de cet article paraît dans le Vase Communicant n° 224.]
denis.mahaffey@levase.fr