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Théâtre

Dans la jungle de l’entreprise

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L'art de la mise à mort au théâtre

Les employés s'alignent derrière leur victime, déjà inquiète.

Les employés s’alignent derrière le désigné, déjà inquiet.

« Au pays des… », petite salle du Mail   

Si le « Service du Personnel » est devenu le « Service des Ressources Humaines » dans l’entreprise, n’est-il pas le mot « personnel » qui gênait ? Evacuer la personne et introduire l’« individu » c’est remplacer la solidarité par l’individualité, faire de collègues des concurrents. Alors quand le couteau circule, il vaut mieux le planter dans le dos de celui qui partage votre bureau que d’attendre qu’il soit planté dans le vôtre.

Ce monde du travail rendu féroce est le cadre de « Au pays des.. » de Sylvain Levey, jouée par la compagnie des Baladins.

Trois employés sentent le vent tourner contre un quatrième, d’abord parce sa proposition lors d’une réunion avait été ignorée. La curée est lente, mais d’autant plus impitoyable que chacun des autres croit, un moment, qu’il pourrait être le prochain souffre-douleur. Le désigné est dévalorisé, puis humilié, ignoré, laissé seul à la cantine, privé de bureau. Il finit par servir de porte-manteau dans le couloir. Juste avant d’être utilisé comme paillasson, il quitte les bureaux de l’entreprise pour rejoindre les fonctionnels de l’entreprise : des comédiens qui jouent les personnages de conte de fée dans un parc à thème. Il se suicide. Eux, déjà embêtés par un suicide antérieur, qui les incommode dans leur travail, sont excédés par ce manque flagrant d’égard. Au bureau, les employés se plaignent autant. Décidément, ce suicidé ne se gêne pas !

La pièce est construite comme un film, alternant scènes de bureau et scènes de vestiaires. Les situations évoluent, mais les phrases qui les accompagnent restent les mêmes, comme un refrain qui ne peut que se répéter. Rien ne change, sauf la vie d’un homme.

DM ajoute : Pour des raisons de surbooking, j’ai vu « Au pays des… » entre deux tranches du gala de catch le même soir, un peu comme la saucisse entre deux tranches de baguette exposée par Joël Ducorroy à l’Arsenal. Le contraste était saisissant entre un spectacle excessif, débridé mais au fond bon enfant, et cet autre, tout en retenue, savamment coincé, mais où sourd une violence qui finit par la mort d’un homme.

La pause avant le défilé quotidien.

La pause avant le défilé quotidien.

La mise en scène de Marc Douillet formalise les mouvements et gestes : les personnages, pétrifiés par ce qui leur arrive, tournent en rond en attendant le pire. Le libre arbitre est écrasé comme un mégot. C’est un travail d’ensemble remarquable pour une troupe amateur. Les comédiens gomment leurs traits particuliers pour générer une ambiance de fatalité.

La victime moustachue et à barbichette, vouée au bannissement graduel par ses collègues, est jouée avec une raideur toute masculine par la comédienne Laurence Piret !

Le spectacle est illustré par les masques des personnages de contes. Grands casques descendant jusqu’aux épaules, ils ont été faits par Jean-Noël Parmentier, comédien dans la pièce et professeur d’arts plastiques dans le civil. « J’ai mis deux ans à les faire » admet-il. Ils sont en carton ondulé, et la texture et l’absence de couleur en font des versions hiératiques de Mickey, Donald et autres nains.

La pièce, jouée pour la dernière fois un an après sa création, ne laisse aucun répit anecdotique au spectateur. Empêché de manifester contre cette mise à mort, il est touché dans ce que Marc Douillet a appelé « l’espace entre raison et sensibilité ».

denis.mahaffey@levase.fr

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