« Mais c’est du théâtre ! » s’était écrié un élève à Anne de Rocquigny après l’avoir écouté et regardé dire des poèmes en classe, en duo avec Virginie Deville. Deux jours de suite elles ont fait irruption dans les classes de l’école élémentaire Fiolet à Soissons. La porte s’ouvre, elles entrent et interpellent les enfants, individuellement ou tous ensemble. Elles murmurent, récitent, déclament et même, pour finir et pour accompagner leur sortie, chantent des textes africains. Le tout dure une petite dizaine de minutes. Les classes ne les verront ni avant ni après.
L’accueil n’est pas toujours le même. Dans la première classe de l’après-midi, elles sont reçues comme un cadeau. Les élèves rient bruyamment mais de bon cœur de leur comportement bizarre dans une salle de classe, de leur habillement, de la façon si directe, si personnelle de les aborder. Dans un des poèmes, Virginie Deville fixe un enfant différent en disant des noms d’arbres. Tous se retournent pour voir qui a été choisi. La bonne humeur règne.
Et l’attention aux mots qu’ils entendent, le poème lui-même, est totale. Tous ne le disent pas comme celui que cite Anne de Rocquigny, mais ils sont comme au théâtre, à entendre et à voir devant eux ce qui est plus souvent lu dans un livre. Les mots sur la page prennent vie, comme si les personnages d’une image se mettaient soudain à vivre.
Viriginie Deville aux cheveux bleus, Anne de Rocquigny aux roux.
Dans une deuxième classe, l’accueil est plus silencieux, les enfants bougent peu, et leurs rires sont retenus. L’attention reste intense, mais ils ne participent que peu à la fête des vers. Puis un élève commence à dire quelque chose, et l’institutrice dit « Chut ». Ne faut-il donc pas, pour qu’une telle intervention réussisse, que le responsable de la classe ait l’âme poétique aussi, c’est-à-dire soit prêt à assouplir les règles de conduite comme un poète assouplit celles de la syntaxe, du sens.
La troisième classe est réceptive, jouit de tout ce que lui offrent les porteuses de vers, les inondent de sourires et de rires, se lèvent pour saluer leur départ.
Virginie Deville et Anne Rocquigny, comédiennes de la compagnie de l’Arcade qui est en résidence au théâtre du Mail, interviennent ainsi dans plus de quarante classes soissonnaises dans le cadre du « Printemps des poètes », en constituant ce qui s’appelle une « Brigade d’Intervention Poétique » (BIP). L’objectif est de faire de la poésie quelque chose de surprenant, d’amusant, et qui fait réfléchir sans qu’on doive se concentrer sur un recueil de poèmes. Cette année, le thème est l’Afrique.
Dans un autre sens, le premier élève avait raison. Les comédiennes sont très proches des élèves, mais ce qu’elles offrent est une leçon de théâtre. Elles jouent, les enfants le savent, et c’est ce qui rend extraordinaire le contact entre eux.
denis.mahaffey@levase.fr
[modifié le 05/04/17 pour préciser le nombre total de classes concernées par cette BIP]