L’Ecossais James Milne gribouille une lettre d’adieu à sa femme avant l’attaque. Il la gardera dans sa poche, dans l’espoir qu’une bonne âme la lui fera parvenir.
Eugène Poézévara décrit pour ses parents la fin des combats : le soudain silence, mais la mort « qui plane encore ». Deux heures d’attente, « et c’est fini. »
Ces lettres, parmi la quinzaine qui composent « Lettres de Guerre/Letters from the war/Feldpostbriefe », ouvrent de petites fenêtres intimes sur ce qui se passe pendant une guerre.
Ce qui frappe l’auditeur est que ceux qui doivent s’entretuer ne montrent que passagèrement leur hostilité envers leurs adversaires dans les tranchées en face. Les militaires de chaque côté expriment la souffrance physique et morale, la peur, la révolte, les traumatismes, mais aussi la foi, la bravoure, l’humour qu’ils ont en commun. Ils écrivent à ceux qu’ils ont laissés « à la maison » des lettres d’amour, exacerbée par la perspective de ne pas les revoir.
C’est Jacques Delorme, metteur en scène de la compagnie L’Art et la Manière, qui a conçu cette approche englobant alliés et ennemis dans la même peine. Il a recruté trois lecteurs, Nicolas Pierson, professeur de collège et lycée, pour les lettres en français, Arnaud Duminil, germaniste qui a enseigné l’allemand au collège, pour traduire et lire les lettres en allemand, et Denis Mahaffey pour traduire et lire les lettres en anglais.
Les trois lecteurs ont cherché et sélectionné eux-mêmes ces lettres, dont les auteurs sont aussi bien français et britanniques qu’allemands et autrichiens, irlandais, américains. La mise en scène de Jacques Delorme crée un cadre presque chorégraphique, dans lequel les textes s’entrechoquent ou s’éclairent, et où les trois acteurs sont intensément complices et attentifs entre eux. C’est comme si, cent ans après les combats, ennemis et alliés s’écoutent enfin.
« Lettres de guerre », Arsenal, 3 mai à 20h.
L’Art et la Manière, tél. 06 82 23 87 74 ; contact lartetlamaniere02@gmail.com.
[Cet article reprend des éléments d’un précédent texte de novembre 2016, après deux représentations au Fort de Condé et à Pargny-Filain.]
denis.mahaffey@levase.fr