« Je veux et j’exige six chemises fines et six fichus fins ; je veux et j’exige d’exquises excuses. » Après s’être exercés à deux, les apprentis comédiens doivent prendre place chacun devant les autres, comme sur scène devant le public, et prononcer ce « fourchelangue », choisi dans la liste distribuée.
Nous sommes à la première journée de formation de la nouvelle compagnie de théâtre amateur L’Art et la Manière. Elle a été fondée suite au succès de la pièce « La mienne s’appelait Régine » en mars 2015. Martine Besset, Jacques Delorme et Olivier Gontard, membres fondateurs de la nouvelle troupe, tenaient trois des quatre rôles dans cette étude d’une relation pathologique entre une mère et son fils.
Jean-Marie Débia avait fait la mise en scène, dernière d’une longue série dans le théâtre amateur de l’Aisne. Jacques Delorme lui a succédé.
La deuxième production est « Lettres de guerre », prise sous l’aile de la compagnie au cours des répétitions. Trois acteurs lisent des lettres de militaires écrites pendant la Guerre 14-18, évocation poignante de la peur, la foi, les traumatismes, la bravoure, l’humour, même l’arrogance, vécus de chaque côté du Front. Car les auteurs sont aussi bien français que britanniques, irlandais, américains, allemands et autrichiens. Les trois lecteurs ont sélectionné de nombreuses lettres puis affiné ensemble leur choix. Nicolas Pierson lira les lettres en français, Arnaud Duminil, professeur d’allemand lui-même, a traduit et dira les lettres écrites en allemand, et Denis Mahaffey (eh oui) celles écrites en anglais. Le spectacle devient une danse où les corps avancent, reculent ou se figent, alors que les textes s’entrechoquent ou font écho les uns aux autres. « Lettres de guerre » sera présenté en septembre aux institutions et entités susceptibles de le programmer dans le cadre du Centenaire.
Six nouveaux membres ayant rejoint la compagnie, il s’agit maintenant de choisir une pièce avec une dizaine de personnages « Tout le monde doit pouvoir y jouer » insiste le metteur en scène. Le processus sera consensuel, c’est un principe pour l’Art et la Manière.
Mais pour jouer un spectacle il faut savoir se produire sur scène. Interpréter quelqu’un d’autre tout en restant soi-même demande de la délicatesse et de l’audace. Jeannine, Martine, Philippe et les deux Patricia, disponibles même en plein mois d’août, se sont donc réunis pour cette première formation au mouvement et à la parole. Se montrer, bouger, être intelligible : Jacques Delorme propose un entraînement dans ce sens.
D’autres exercices entendent créer une cohérence d’équipe, en apprenant à avoir confiance dans les autres et en soi-même. Le repas pris en commun à la fin de la journée fait donc partie intégrante de la formation.
Revenons aux fourchelangue. L’essentiel, qui n’est pas immédiatement évident, est d’abandonner l’effort mental de distinguer entre des sons faussement similaires. Il faut se fier à sa bouche, qui mettra en mémoire les mouvements de lèvres et de langue, tout comme un pianiste compte sur ses doigts. Jouer au théâtre, comme jouer un instrument, est une compétence plus corporelle que mentale.
denis.mahaffey@levase.fr