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Théâtre

Terrestres et imparfaits

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L'art du mariage

En 1973 le cinéaste suédois Ingmar Bergman a écrit et réalisé un feuilleton en sept épisodes pour la télévision, « Scènes de la vie conjugale », qui examine la relation entre un homme et une femme sur une période de dix ans. L’année suivante il l’a abrégé pour faire un film de trois heures. Ce film a ensuite été adapté au théâtre et mis en scène pour huit comédiens par Nicolas Liautard en 2016.

Dans la version la plus récente de Jacques Fieschi et Safy Nebbou, venue au théâtre du Mail, l’histoire a été élaguée jusqu’à ne laisser qu’une heure et demie d’échange entre l’homme et la femme. Les autres personnages ont disparu, l’homme et la femme ne vieillissent pas, la scénographie* est minimaliste, un paysage d’hiver projeté au fond, ses oiseaux immobiles en vol.

Marianne et Johan, qui sont Laetitia Casta et Raphaël Personnaz.

Johan (Raphaël Personnaz) et Marianne (Laetitia Casta) se présentent d’abord sur un écran divisé (rappel de l’entretien avec un journaliste du début du feuilleton). A gauche, il vante ses propres qualités, avec un petit sourire pour faire passer sa fatuité. Il est « sportif, bon père, bon fils… ». A droite, elle s’efface pour le mettre en avant. Parfaitement assortis, l’homme qui réussit et sa femme qui soutient son succès.

La projection terminée, ce couple idéal est là, sur scène. Idéal ? Bientôt, des tensions émergent. Se dire tout, c’est la règle, n’est pas évident. Il envoie de petites piques, elle les encaisse. Ils sont mariés depuis dix ans, et leur mariage va traverser des tempêtes pendant les dix ans à venir.

Johan, insatisfait, cherche autre chose. Enfin il l’admet : cette autre chose est Paula, dont il est tombé amoureux. Il quitte Marianne, blessée comme un animal, muette de souffrance.

Mais il revient, comme s’il ne pouvait pas s’en détacher. Johan a la fureur facile, insulte Marianne, l’agresse. Sa faiblesse se trahit dans ces rages vaines. Marianne, au contraire, met du temps à découvrir sa colère, mais y trouve en même temps sa force. Les vérités se disent désormais d’égal à égal.

Raphaël Personnaz a la nonchalance nerveuse du mari qui s’emporte si facilement. Laetitia Casta, arrivée dans le monde du théâtre avec la difficile réputation de top-model, se révèle lumineuse, d’une lumière qui éclaire la voix et les mouvements de Marianne.

Le jeu garde quelque chose de cérémonieux. La nature conjugale de la relation s’exprime par des gestes stylisés qui gardent leur sensualité : Johan qui commence à ouvrir sa braguette dans une scène, Marianne qui écarte ses jambes dans une autre.

Enfin, chacun marié ailleurs, ils se retrouvent, conscients de la profondeur du lien – de l’amour – entre eux. Ils admettent que, simples êtres humains loin de l’image scintillante de l’entretien filmé du début, ils s’aiment « de façon terrestre et imparfaite ». Le bonheur ? Les couples qui s’aiment ne sont pas toujours des couples heureux.

* Une bizarrerie scénographique : les seuls éléments sont deux blocs de bois blond qui font penser inévitablement à des buffets ou coffres Ikea, un plus haut que l’autre. Les personnages s’y assoient ou s’y couchent. Entre les scènes ils se déplacent silencieusement, mus peut-être par un moteur interne. Cela détourne l’attention du spectateur plus qu’il ne le concentre. A chaque fois que Johan quitte Marianne, le plus gros disparaît dans les coulisses, comme pour insister.

denis.mahaffey@levase.fr

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