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Le Vase des Arts

Thelonious et Nicolas, à la guitare et en marionnette

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L'art du jazz et de la marionnette

Hors de la vue du public, la vie culturelle se poursuit énergiquement. Ainsi un disque de jazz paraît, et un spectacle se construit en vue d’un retour sur les planches. Le guitariste Pascal Bréchet et le percussionniste  Thierry Wasiniak ont sorti un disque, A hint of Monk, transcription de compositions du pianiste de jazz Thelonious Monk ; la compagnie de théâtre Pass’ à l’Acte a fait une « résidence de création » au Mail pour concevoir et mettre en scène une adaptation de Nicolas le Philosophe, d’après le conte d’Alexandre Dumas.


Pascal Bréchet à gauche, Thierry Waziniak à droite, sur la pochette du CD.

Du piano à la guitare : Thelonious Monk

En janvier 2020 le guitariste Pascal Bréchet et le percussionniste Thierry Waziniak, qui forment le «Duo Libertaire», ont passé deux jours dans le studio de la Cité de la Musique et la Danse à enregistrer un album. A hint of Monk reprend des compositions du pianiste de jazz Thelonious Monk. L’installation était légère : «Un ampli, une caisse et un seul micro, je n’avais jamais fait ça» explique Pascal Bréchet.

C’était en trouvant un volume de toutes les partitions de Monk il y a longtemps qu’il a commencé à le comprendre, à le jouer. Du piano à la guitare ? «Nous avons joué ses notes, mais sur nos instruments.» Pascal Bréchet est connu pour son originalité, sa réticence à jouer des standards tels quels : il s’aventure sur les cordes de sa guitare (parfois sur le bois !) pour explorer les possibilités, éveiller ses auditeurs au lieu de les bercer. Avec Thelonious Monk il est face à une autre originalité. Monk aimait les dissonances, les silences, les inattendus. La transcription pointe les sources de son inspiration plus qu’il n’adapte ses compositions. Le titre aura prévenu : on y entendra un soupçon monkien, le reste est inédit.

Les deux musiciens ont ajouté leur propre morceau, Three or four shades of Monk, qui leur permet de couper tout lien avec ses partitions et faire un riff sur sa musique.

L’album vient de sortir sous le label Intrication.


Sur scène de droite à gauche Eric Tinot, Patrice Leduc, Nicolas, Fabrice Ply.

Comment Nicolas le naïf se forge une philosophie

Que fait une troupe de théâtre quand les restrictions Covid l’empêchent de jouer ? Eh bien elle travaille sur un nouveau spectacle à ajouter à son répertoire. La compagnie Pass’ à l’Acte prépare Nicolas le Philosophe, pour jeune public à partir de 4 ans, en profitant d’une «résidence de création» au Mail, dont la saison est bloquée et qui ouvre ses ressources aux troupes locales. Pass’ à l’Acte a ses activités de formation, mais d’autres projets sont incertains ou même abandonnés, comme Working Shakespeare, car la distribution pressentie s’est dispersée ailleurs.

Deux comédiens, Eric Tinot et Fabrice Ply (adaptateur de la nouvelle d’Alexandre Dumas), et un marionnettiste invité, Patrice Le Duc, s’occupent du nouveau spectacle. Sur le plateau et dans un décor sommaire ils rejoignent un jeune homme à la bonne bouille, aux sourcils levés devant les surprises du monde, recruté après un casting pour marionnettes. C’est Nicolas.

Quand Nicolas quitte son emploi pour rentrer chez sa mère, il reçoit un lingot d’or. Ca pèse lourd et il l’échange volontiers contre un cheval. Tombé par terre il l’échange contre une vache, puis un cochon, puis une perdrix, puis une pierre de rémouleur, qu’il fait tomber dans un puits en étanchant sa soif. Ce dépouillement progressif par une série d’escrocs lui apporte un bonheur que ne lui a procuré aucune propriété. Sa naïveté même lui a forgé une philosophie.

La création ? La pandémie rend tout incertain – mais le spectacle sera prêt.


[Ces deux articles sont publiés dans Le Vase Communicant n°307.]

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Danse

Le ballet sans danse

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L'art de l'orchestre

Tamara Karsavina est la Jeune Fille, Vaslav Nijinski est le Spectre.

Sans danseurs, la musique de ballet perd de son côté spectaculaire, mais gagne en écoute. Présents, les danseurs accaparent les regards, and la musique devient un accompagnement. Les musiciens sont cachés dans la fosse d’orchestre – ou remplacés, de plus en plus, par une bande sonore qui sort d’amplificateurs.

L’orchestre Les Siècles, sous la direction de François-Xavier Roth, a changé l’angle d’approche en choisissant, pour son retour à la Cité de la Musique, trois partitions pour des ballets créés par les Ballets Russes à Paris. Neuf jours après le concert ce serait le cent-dixième anniversaire de la création mouvementée du Sacre du printemps, composé par Igor Stravinsky ; au nouveau théâtre des Champs-Elysées. Au même programme de 1913 deux autres ballets, Prélude à l’après-midi d’un faune, créé un an avant sur la musique de Debussy, et Le spectre de la Rose, créé en 1911 sur celle de Weber. Ce parallèle a permis au directeur des Siècles, avec sa verve habituelle, de définir la soirée de « la Première de ces trois ballets à Soissons ».

Ecoutées au lieu d’être simplement entendues, à l’avant-plan au lieu de l’arrière-plan, les trois partitions ont révélé leur richesses, en rendant la structure du jeu des musiciens visible. Un concert orchestral est dans ce sens un spectacle : le célèbre thème d’ouverture du Prélude à l’après-midi d’un faune prend toute son importance quand la flûtiste a levé son instrument pour entraîner l’orchestre derrière elle, comme le Flûtiste de Hamelin du conte.

Invitation à la danse de Weber, orchestrée par Berlioz, sert de partition pour Le Spectre de la Rose, adaptation d’un poème de Théophile Gautier. Une jeune fille s’endort dans un fauteuil après son premier bal, une rose à la main, et rêve. . La Rose, devenue jeune homme, la fait danser, part, et elle s’éveille. Sur le plateau, c’est un violoncelle, rejoint par des cordes, qui accompagne son endormissement et qui, en solo après le paroxysme de la danse, son doux réveil. (*)

Dans le Sacre du printemps, Stravinsky a rendu fous furieux ses adversaires qui ont troublé la Première, par ses rythmes sauvages, ses dissonances, ses ruptures, ses changements de tempo et arrêts soudains. Ce qui leur semblait être du terrorisme musical était simplement sa volonté novatrice d’abandonner les conventions mélodiques et d’harmonie auxquels les mélomanes paresseux s’étaient depuis si longtemps habitués.

Même la composition de l’orchestre a reflété les intentions différentes des trois compositeurs (ou de Berlioz) : la soirée a commencé avec environ quatre-vingts instrumentistes sur scène pour Debussy ; ils ont été rejoints par une dizaine d’autres pour Weber ; pour Stravinsky ils étaient une centaine. Sous les projecteurs : dans une salle d’Opéra chacun aurait été dans la pénombre et seuls les pupitres auraient été éclairés.

L’incident

La fin du Spectre de la Rose a été interrompue par des applaudissements prématurés. La danse qui est au cœur de la composition, entre l’introduction et le coda, se termine dans une valse retentissante. Quand elle a pris fin une partie du public, comme parune réaction physique, a commencé à applaudir. Sans se retourner, François-Xavier Roth a levé la main gauche pour arrêter les applaudissements, mais sans effet. Enfin, ceux qui applaudissaient se sont rendu compte que quelque chose n’allait pas, et les uns après les autres ils se sont arrêtés. Trop lentement quand même, et le violoncelliste a commencé courageusement les dernières mesures, alors que le silence n’était pas entièrement rétabli. L’œuvre terminée, le chef, encore sans se retourner, a fait un geste, cette fois pour autoriser et encourager le public à montrer son enthousiasme.

L’incident a des échos dans l’histoire de ce ballet. Ceux qui l’ont vu savent que quand le danseur sort, au moment culminant de la valse, le public peut rarement s’empêcher de saluer l’exploit acrobatique. Mais l’histoire raconte que chaque fois que le ballet était dansé par ses créateurs, Tamara Karsavina et Vaslav Nijinski, la puissance du jeu dramatique de la ballerine était telle que, quand son partenaire la quittait en semblant flotter à travers la fenêtre ouverte, le public retenait ses applaudissements pour ne pas rater le réveil de la Jeune Fille émerveillée par ce qu’elle avait vu en rêve.

(*) Chaque œuvre est détaillée avec érudition et finesse dans la feuille qui a accompagné le programme en papier, par la Classe d’analyse du Conservatoire du Soissonnais.

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Le Vase des Arts

La douleur de Dominique Blanc

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L'art de jouer

Une femme, l’air abandonnée par elle-même, est assise à une table. Elle parle. « Face à la cheminée, le téléphone, il est à côté de moi. À droite, la porte du salon et le couloir. Au fond du couloir, la porte d’entrée. Il pourrait revenir directement, il sonnerait à la porte d’entrée : “Qui est là — C’est moi”. »

A travers La Douleur, la comédienne Dominique Blanc vit depuis plus de dix ans avec la douleur en tant que comédienne. En 2010, elle a d’abord fait une lecture du texte de Marguerite Duras, puis l’a joué dans un spectacle mis en scène par Patrice Chéreau. C’est dans cette même mise en scène, revue par Thierry Thieû Niang, qu’elle a repris le rôle, d’abord à Paris, ensuite pour une tournée qui l’a amenée au théâtre du Mail à Soissons.

Le texte relate l’attente fébrile d’une femme dont le mari a été déporté dans un camp de concentration allemand en 1944, et son retour. La situation reflète celle de l’auteure elle-même, face à la déportation de son mari Robert Anthelme, et le texte de la nouvelle est adapté d’un journal intime qu’elle aurait gardé pendant cette période d’attente.

La femme sur scène subit l’attente insoutenable, dans une impuissance qui n’est pas exceptionnelle mais celle « de tous les temps, celle des femmes de tous les temps, de tous les lieux du monde : celle des hommes au retour de la guerre  »

Etant donné la matière du texte, le public pouvait s’attendre à une performance, dans le sens d’un déploiement de sentiments extrêmes, des crises d’angoisse, des larmes ; un corps à l’agonie, des émotions qui débordent.

Dominique Blanc choisit une autre approche, qui est un défi aux conventions du théâtre. C’est celle de la transparence. Comédienne, elle transmet ce qui se passe, mais sans jamais forcer le trait. La douleur passe par son corps et sa voix sans jamais devenir paroxysme : ils servent de messagers entre le plateau et la salle, sans rien ajouter. C’est au spectateur, pourrait-on dire, de faire ce qu’il veut, ou peut, de ce qu’il voit et entend.

L’aspect physique de la comédienne contribue à cette transmission, son corps en retrait, son regard légèrement tombant, son grand front comme un écran blanc. Dominique Blanc établit une sorte de vide que chaque spectateur remplit par son accueil de ce qu’elle dit et fait.

Pour ceux dans la salle qui ne la connaissaient que par le cinéma, la rencontre en chair et en os a pu confirmer que c’est une artiste dont la force est d’autant plus étonnante qu’elle ne la met pas en avant. Tout est réserve, tout est transparence. Dans La douleur, au lieu de faire voir sa douleur, elle la laisse voir.


Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

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Danse

La Passion selon Piazzolla

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L'art du tango

[Photo Axonance]

Le compositeur argentin Astor Piazzolla, déjà célèbre pour son œuvre inspiré par les rythmes du tango, passe à un autre niveau de renommée en devenant le sujet d’une composition d’un autre compositeur, argentin aussi. Martin Palmeri a écrit la Pasíon segun Astor qui sera chanté et joué au concert donné par l’ensemble choral Axonance à la Cité de la Musique de Soissons le 27 mai. Avec le compositeur au piano, Axonance et son directeur Stéphane Candat seront accompagnés par le quintette à cordes’ensemble de chambre Ad Libitum, le bandonéoniste Jeremy Vannereau, et même deux danseurs du tango. Il y aura des pièces et chants solos du compositeur, dont Libertango et Adios Nonino, adieu déchirant à son père.

Stéphane Cantat, fondateur et directeur d’Axonance [Photo Axonance]

Axonance a été créé en 2017 pour pallier à la disparition du Studio choral de l’Aisne, privée de sa subvention départementale. Il a commencé à se faire une réputation par ses récitals et concerts, dont celui du Nouvel An dans le cellier nouvellement aménagé de l’abbaye Saint-Jean-des-Vignes. Il vise à donner trois ou quatre concerts par an – financés, il faut dire, par les recettes et les cotisations des membres.

Même dans les chorales où les membres chantent surtout pour le plaisir, ils s’impliquent beaucoup. Axonance visant une qualité quasi-professionnelle, avec des choristes déjà de bon niveau, l’engagement doit être soutenu et fort. Chaque choriste vise à travailler la pratique chorale dans un environnement vocal réduit, pour assurer une homogénéité et un son adapté à chaque esthétique musicale. Ils se retrouvent deux demi-journées par mois et le répertoire s’étend des débuts du Baroque au XXIe siècle. L’ensemble se dirige vers des programmes chambristes, à capella ou accompagné de l’orgue ou du piano. Le concert Piazzolla est donc exceptionnel.

Axonance recrute des chanteurs venus de chœurs de la Marne, de l’Aisne et de l’Oise, mais il est soissonnais, créé dans la ville quelques heures après la destruction de la Rose de la cathédrale par la tempête Egon – et il a chanté lors de l’inauguration du nouveau vitrail en 2022.

La musique de Piazzolla et son bandonéon ont pris leur place parmi le plus grands dans les salles de concert, mettant les sens en émoi, communiquant ses rythmes langoureux  aux mêmes publics que Mozart et Beethoven. Destin prestigieux pour le tango, né dans les bordels de Buenos Aires, et dont le rythme subvertit la bienséance en y glissant une sensualité entêtante.


La Pasíon segun Astor, 27 mai à 20h à la CMD ; 28 mai à 16h, église Saint-Maurice, Reims.

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