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Le Vase des Arts

Le grand écart

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L'art du théâtre

Jérôme Wacquiez, directeur de la compagnie de théâtre compiégnoise Les Lucioles, et familier du théâtre du Mail de Soissons, y a fait voir surtout des pièces plutôt intimes avec une distribution réduite, telles Deux pas vers les étoiles, Qui rira verra ou Quand j’aurai mille et un ans, comme s’il voulait concentrer tout le sens dans un format compact.

Mais sa mise en scène de spectacles de fin d’année scolaire des « classes théâtre » au collège Saint-Just, Antigone et Roméo et Juliette, a montré qu’il savait aussi gérer un nombre important d’acteurs sur scène.

Selima et Thomas

Sa nouvelle création, Capital risque, de l’auteur portugais Manuel Antonio Pereira (dont c’était la « quatrième », après trois représentations à Nesle), confirme cette capacité. Dix jeunes acteurs jouent un groupe de lycéens de Clermont-Ferrand qui cherchent leur avenir. Le résultat est un spectacle complexe, aux échanges multiples, bondissant d’énergie, et qui utilise les moyens de la comédie pour étudier un sujet plutôt sombre : les dégâts d’une vie dévouée à la réussite, à l’exclusion du bonheur.

Les dix bacheliers de province n’ont pas les mêmes visées. La vie les trie impitoyablement selon plusieurs critères, dont leurs envies, leur degré de volonté, leur intelligence et leur capacité à l’appliquer, mais autant par leur statut social et les ambitions qu’il leur inculque. La réussite, professionnelle et affective, est gouvernée par ces facteurs.

Parmi eux, il y a ceux qui visent les Grandes Ecoles parisiennes, ceux qui prévoient des Ecoles de province, ceux qui s’embarquent tout de suite dans une vie de travail. C’est crucial : Jérôme Wacquiez a expliqué « comment le système français est construit pour mettre en place le grand écart entre un jeune de 18 ans bachelier qui va entrer dans une grande école et comment un autre jeune de 18 ans bachelier de filière générale, technologique ou professionnelle qui va suivre une formation en université, en BTS ou en DUT et qui va rester en province et qui va sûrement ne pas faire partie de l’élite française ».

Des plus ambitieux, seuls trois, Antoine, Célia et Marc (Alexandre Goldinchtein, Eugénie Bernachon, Nathan Jousni) réussissent à terminer le parcours. Mais ils paient de prix de cette victoire éclatante, surtout Antoine, le moins sûr de lui-même au début, le plus fat à la fin. Tous les trois se trouvent dans des milieux ou l’humanité est vue comme une ressource à exploiter, où la vie est vidée pour faire place au succès marchand.

Antoine et Célia

Comme tous ces jeunes comédiens sont remarquables, citons les autres aussi : Adèle Csech (Julie), Morgane El Ayoubi (Selima), Julie Fortini (Audrey), Fanny Jouffroy (Camille), Antoine Maitrias (Simon), Agathe Vandamme (Emma), Ali Lounis Wallace (Thomas). A se demander : La taille a-t-il compté pour le recrutement de ces acteurs en début de carrière ? La plupart des femmes dépassent d’une tête les hommes, ce qui déséquilibre utilement les rapports aux yeux du public.

A la fin, Célia, prête à partir en voyage – d’affaires, quoi d’autre ? – avec Antoine. Par rapport à sa première petite amie Emma, dont il considère la vision trop limitée, elle est un trophée. Elle quitte le salon d’attente – business class, quoi d’autre ? – et marche, marche, marche. Où va-t-elle ?

Le texte est multi-forme : dialogues, monologues, réflexions intérieures à haute voix, narration à la troisième personne. Sous la direction du metteur en scène, les acteurs gèrent cette complexité avec une clarté impeccable. Ils réalisent aussi des performances physiques : ils dansent, sautent, courent, donnant une grande réalité corporelle au spectacle, mais en révélant aussi le vide sous leurs pas. Ils ne peuvent pas se canaliser pour faire sourdre le bonheur simple de posséder la jeunesse, la beauté, l’énergie. Ils volent sans savoir atterrir.

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